Entretien réalisé par Ginette Ngo Mintoogue, le 6 mars 2020 à 18h34, OTHNI, Yaoundé.
L’entrevue suivante fait partie du cycle d’entretiens avec les praticiens et structures des arts visuels et vivants africains initié dans le cadre de mes travaux de recherche doctorale « La viabilité économique des compagnies de théâtre au Cameroun ». Il correspond à un extrait remanié de la transcription d’un entretien mené avec l’artiste camerounais Martin Ambara et porte sur les leviers de ressources pour les compagnies de théâtre au Cameroun.
Ginette Ngo Mintoogue : Qui est Martin Ambara ?
Martin Ambara : Je suis Martin Ambara, metteur en scène et j’aime souvent dire directeur artistique de l’espace OTHNI (Objet Théâtral Non Identifié) qui est un laboratoire de théâtre. Un espace où on essaie de penser le théâtre postmoderne. OTHNI, au départ je l’ai pensé comme un lieu de représentation pour mes spectacles parce que j’étais fatigué de devoir attendre qu’un jour l’Institut Français me programme et aussi fatigué de chercher un endroit où répéter. Donc, avec des économies et la famille (mon épouse et moi), on a dû ouvrir cet espace afin d’avoir un lieu où je peux explorer le théâtre. Au commencement c’était d’bord et exclusivement pour du théâtre et je me suis rendu compte que le théâtre comporte un nombre de départements essentiels. Surtout pour nous qui faisons dans le théâtre total, il y a la danse, la musique, les arts visuels. Donc j’ai ouvert un espace danse, un espace musique et un espace arts plastiques. Ce qui fait que quand quelqu’un est en création ici, il n’a pas besoin d’aller chercher ailleurs les éléments pour étudier la motricité et le mouvement. Et quant à la vision de la scénographie, le décor, et tout ce que vous voulez on n’a toujours pas besoin d’aller chercher loin, on rentre dans la salle des arts plastiques. Parce qu’au Cameroun, la majorité des vidéastes, des plasticiens que je connais (8 au total) ont été tous formés comme scénographes par une certaine Barbara Bouley dans les années 2000. Donc pour moi il n’était pas question de chercher, ces figures-là ou bien ces artistes ailleurs qu’à OTHNI.
G.N.M. : Comment avez-vous décidé de faire du théâtre votre carrière ? Quels ont été les moments clés de cette décision ainsi que les différentes influences dans le métier ?
M.A. : Je ne sais pas si je peux appeler cela un problème de circonstances heureuses ou malheureuses, je ne sais pas. Tout petit, j’avais 6 ou 7 ans je crois avec mon père j’avais l’habitude d’écouter une émission à la radio, c’était une émission de contes. Ça s’appelait Awoulawoula, Soir au village et le comédien-conteur faisait partie de l’ensemble national (ensemble constitué notamment du théâtre national et du ballet national au Cameroun). J’ai dû retourner au village pour y poursuivre mes études, puis je suis revenu en ville en classe de CM1. L’émission se poursuivait, et je l’écoutais toujours. De fil en aiguille, en classe de 5ème, il va faire une représentation de ces contes-là au Palais des Congrès. Je vais me dire, ok il faut que j’aille regarder. Je vais donc « harceler » mon père pour qu’il me remette la somme de 500f à l’époque, et je vais aller regarder ce Monsieur au Palais des Congrès. La première chose qui me frappe, c’est qu’il dit ses contes en jonglant des petites balles comme un saltimbanque, comme un jongleur, il faisait tout. Il racontait en jouant de la guitare et j’étais tellement émerveillé. Mais ce n’est pas de là que me vient mon envie de faire du théâtre, mais plutôt mon envie de continuer à l’écouter.
G.N.M : Cette rencontre a-t-elle eu un impact significatif sur votre carrière ? Quelles interactions entre les artistes et les médias ?
M.A : Bien sûr. Et puis il y a eu aussi l’avènement de la télévision. Une émission, justement, a été proposée, une émission de contes. C’est encore le même conteur qui propose ces spectacles à la télévision, et chaque soir je vais regarder cela. Je crois que j’étais en classe de seconde ou en classe de première à l’époque. Mais le déclic ne va avoir lieu qu’en Terminale, lorsqu’il va me manquer de l’argent pour que je continue mon cursus scolaire. Et là, j’étais à Douala avec mon cousin qui m’hébergeait. Ma réflexion était la suivante : soit je rentre au village cultiver les arachides, soit je m’arrête ici à Yaoundé et je trouve quoi faire. J’arrive ici à Yaoundé, je trouve quand même les enfants d’une tutrice. Ils me disent : qu’est-ce que tu vas aller faire au village ? Je leur réponds : qu’est-ce que je fais à Yaoundé ? Ils me disent : non reste là. Et avec leur aide, je parviens à mettre sur pied un tournedos (petit restaurant-cafétéria local). Je fais le café le matin que je vends. A côté de cela j’aimais beaucoup lire et la lecture occupait beaucoup de mon temps. Je me suis dit, je n’ai pas de sous pour m’inscrire à la bibliothèque de l’Institut Français. C’est hyper cher pour moi, 7000 francs CFA, à cette époque c’était beaucoup d’argent. Par contre, comment est-ce que je fais pour lire sans avoir à acheter des livres ? Je me suis dit, oui Martin, il faut s’inscrire dans une troupe théâtrale. Alors, je trouve le CCC (Centre Culturel Camerounais), et qui est-ce que je rencontre devant moi ? Le même Monsieur, Evina Ngana, qui me donne un conseil et me dit : il y a le théâtre indépendant qui répète au Collège La Retraite, vas-y, dis-leur que tu viens de ma part. Je m’y rends et je trouve E. Moni Akwa qui m’intègre dans sa troupe, je vais travailler avec lui pendant un an. Et dans sa troupe il y a un comédien qui travaille avec François Bingono Bingono, et il me dit : « Martin tu es brillant comme comédien, je pense que François va aimer travailler avec toi. »
Deux jours plus tard, je travaille de manière alternative c’est-à-dire que je travaille avec le théâtre indépendant un jour, et l’autre, je travaille avec l’autre troupe. Donc, je rejoins la troupe de François Bingono (Alabadou théâtre) c’était du théâtre-école c’est-à-dire qu’il formait les comédiens en même temps qu’il les utilisait. À partir de là, je vais commencer vraiment à apprendre le théâtre parce qu’il était un membre du théâtre universitaire avec Jacqueline Leloup au départ. Donc, avec lui je vais apprendre tout ce qui est de l’ordre du théâtre, de la mise en scène, du jeu, de l’éclatement, etc. Puis un ami va me poser la question : Martin c’est bien, tu sais très bien jouer, tu es brillant sur la scène…et la théorie théâtrale qu’est-ce que tu en sais ? Et là je vais être obligé de dépenser 7000 francs CFA pour m’inscrire à l’Institut Français pour donc commencer à creuser dans tous les livres qu’il y avait là-bas autour du théâtre. Je n’ai donc pas un cursus scolaire dans le domaine du théâtre en tant que tel, c’est vraiment un parcours d’autodidacte. Je suis dans le théâtre depuis 28 ans. J’ai commencé à faire du théâtre à 22 ans et là, j’en ai 50. Et OTHNI existe depuis mars 2010 à Yaoundé où nous sommes basés. Donc le 10 mars prochain nous fêtons notre 10ème anniversaire
G.N.M. : Pouvez-vous nous parler des structures affiliées à OTHNI et de leur rôle dans la création artistique ?
M.A. : Au départ il y avait une compagnie nommée Les Ménestrels, compagnie de théâtre, association. Et lorsque nous avons eu l’espace je me suis dit, ok, il faut donner un autre nom, un autre cadre et de nouveaux horizons parce que si on rentre dans le cadre de l’exploration, ou dans un schéma d’expérimentation, il y a un certain nombre de paramètres qui font que le seul nom de Ménestrels ne suffisait plus. Le programme s’élargissait. Donc on forme des comédiens, on fait venir des Hommes de théâtre à l’international pur participer aux échanges ici à OTHNI, pour que les camerounais bénéficient aussi de ce qu’il y a comme nouvelles visions du théâtre à l’extérieur et voilà. Et nous aussi nous allons proposer nos spectacles à l’extérieur. Et donc oui nous sommes à la tête d’une compagnie parce qu’il y a un certain nombre de comédiens qui travaille avec nous, peut-être pas de manière régulière mais il y a quand même un ensemble qui travaille avec nous. Il y en a qui partent et qui reviennent, on en prend d’autres ainsi de suite. Et donc, il n’y a pas de membres permanents.
Il ne s’agit pas d’une compagnie de théâtre conventionnelle avec des artistes établis non. Mais c’est quand même un cadre dans lequel lorsqu’il y a un projet on procède non pas par casting mais par distribution. On propose à des artistes qu’on a pressentis au préalable et on leur demande si ça leur dit de faire partie du projet et on enchaîne ensemble. Ce n’est pas que l’idée d’avoir une compagnie avec des membres permanents ne nous était pas venue mais juste que le contexte social : avec quoi est-ce qu’on les paye ? Parce que si on doit les faire travailler mensuellement, ce sont des pères et mères de familles, on n’est pas subventionnés, et cette réalité de l’ordre de la précarité nous a obligés à être beaucoup plus vigilants.
G.N.M. : Comment décririez-vous l’évolution des esthétiques dans le domaine du théâtre au Cameroun ?
M.A. : Je crois qu’on est très peu à chercher à écrire le théâtre tel qu’on devrait le voir. Et je crois que ça c’est l’enjeu justement…il faut être un révolté j’ai comme l’impression, un anarchiste pour dire ok je ne vais plus le faire parce que le problème de la précarité c’est le poison majeur dans le théâtre au Cameroun. Parce qu’un auteur écrit pour avoir le Prix RFI. Et le Prix RFI on sait comment on peut l’avoir, on sait comment on aborde les thématiques. Un metteur en scène écrit parce qu’il escompte la subvention de l’Institut Français que ce soit celui de Yaoundé ou celui de Paris. Quand il dépose un projet à la CITF (Commission Internationale du Théâtre Francophone), il y a une façon d’écrire le projet pour la CITF qui réunit tous les auteurs autours de la langue française tout comme la Francophonie (OIF). J’ai par exemple déposé un projet auprès de la Francophonie sur le Mvêt (je l’ai fait 4 fois), ils me posent la question de savoir : c’est quoi le Mvêt et qu’est-ce que la Francophonie a à y voir ? Et je leur dis oui mais je vais le faire en français, et ils me répondent oui mais ce n’est pas suffisant. Qui est-ce qui collabore au projet ? Mais les gens ne peuvent pas collaborer au projet parce qu’ils ne le comprennent pas.
G.N.M. : Quelles sont donc vos alternatives dans ce cas ?
M.A. : Je ne vais pas demander à un Marocain, parce qu’il parle français, de venir comprendre ce que fait un vieillard au village avec sa guitare de bambou. Même si la philosophie qui est véhiculée dans ces récits est une philosophie pratiquement universelle, ce n’est pas possible. Donc, cette précarité ambiante est le véritable poison pour une écriture identitaire précise. On est tous dépendants de qui va donner quoi. Il y a des moments où je suis obligé de rentrer dans ça aussi, de me dire OK, parce qu’il y a toute cette institution à porter, je vais explorer tel ou tel (sic), et ça va me donner de l’argent. Avec cet argent-là, je vais explorer par exemple Manoka Express qui me permet de mieux cerner le Ngondo etc. Il faut une intelligence pour revenir à l’écriture d’une esthétique enracinée dans nos identités.
G.N.M. : Vous avez dit qu’il faut écrire le théâtre comme il devrait l’être, comment devrait-il être selon vous ?
M.A. : Le théâtre n’est pas une entité palpable concrète. Le théâtre n’existe que par la personne qui le met en scène, qui le joue. Donc, il ne prend racine que par le fait de l’individu. Et cet individu qui est-il ? Si c’est un sous-fifre à la conscience complètement lobotomisée et qui est dépendant de la vision qu’on a de l’africain, il fera le théâtre pour RFI ou la CITF, etc. Mais si c’est un Camerounais qui connait les difficultés du Camerounais et qui veut écrire sur ces questions, les pièces qu’il va proposer ne seront pas des pièces de piètre qualité, mais ce seront des pièces qui ont une essence justement par rapport à la réalité qu’il défend. Pour moi, c’est ça écrire le théâtre avec ce que nous sommes : je suis ce qu’il y a autour de moi, mon environnement le plus proche c’est vous, c’est cette plante, et si on me demande ici maintenant d’inventer un truc par rapport à cette situation, il y a des moustiques qui viennent me piquer, etc. il s’agit d’autant d’éléments qu’on ne connait pas forcément en Occident. Je vais prendre un sujet comme le paludisme sans vouloir faire du théâtre pour le développement de l’Afrique du Sud et de l’Afrique de l’Ouest, je vais vraiment montrer les affres du paludisme que Shakespeare certainement n’a pas connu. Donc, c’est ça qui manque le plus dans l’écriture de nos pièces de théâtre, ce n’est pas le fait d’avoir comme référence par exemple : ça se passe à la Briqueterie (quartier de la ville de Yaoundé). Il faut que de manière substantielle, que ce soit dans la structure où dans la convocation d’un certain nombre de valeurs qui sont les valeurs de nos traditions, qu’on le retrouve. On est essentiellement des êtres qui pensent que l’invisible existe mais on est trop rationnels dans nos pièces de théâtre et je dis souvent, plus que Shakespeare, on exagère. Il n’y a pas une seule pièce de théâtre de Shakespeare où on n’est pas confronté aux sorcières, aux êtres de l’invisible, pourtant c’est un européen. Nous, par contre, on est complètement post-dramatiques. Tu entends quelqu’un qui dit, je suis allé au village faire quelques offrandes, mais ça ne se voit même pas dans ta pièce ? Tu as honte de ce que tu es ? C’est ça que je dis. Est-ce que tu as honte d’assumer le fait que tu crois aussi aux rites et aux rituels de chez toi ? Ce n’est pas une honte, c’est un état de fait notre existence, un état de fait notre façon de regarder le monde.
G.N.M. : Comment les difficultés financières affectent-elles votre processus créatif et votre travail artistique au théâtre ?
M.A. : Les difficultés financières impactent Beaucoup. J’ai pensé à une reconversion professionnelle par le passé. Mais là je n’ai plus envie de le faire. Il y a ce qu’on va appeler au Cameroun la mentalité camerounaise qui est une chose que je trouve complexe. Et nous avons travaillé ici longtemps, et chaque mois il n’y avait pas beaucoup d’argent, et on a essayé de définir de l’argent mensuel. Ça c’est vraiment lorsqu’on a ouvert, et je leur ai dit, on n’a pas d’administrateur, vous 4 vous allez constituer le pôle administratif en même temps que vous jouez sur scène. Ça a marché 1 an ou 2, après on a affecté mon épouse au Burkina Faso, donc avec les enfants j’étais obligé d’être très présent au Burkina Faso et très peu ici. Et donc c’est devenu une espèce de bordel ici. Je me suis dit, si on n’a pas nous-mêmes conscience de ce que ça peut être un métier, c’est-à-dire, un endroit où je vais le matin à 8h, où j’ai 8h de travail par jour et je rentre le soir, et à la fin du mois je gagne quelque chose, ça ne vaut pas la peine. C’est une question de sérieux. Et parce que je n’étais pas là, cette espèce d’autodétermination ou sérieux est parti en vrille. Je me suis dit, s’il n’y a pas cette conscience que le théâtre peut être un métier, ça sert à quoi de crier cela aux gens ? J’ai bien envie de le reprendre, mais avec toutes les expériences passées, je ne pense pas. Je suis réduit maintenant à faire des choses inouïes, on a des projets ici où je fais venir des amis du Niger pour venir travailler avec moi parce que c’est un peu difficile de travailler avec certaines personnes au Cameroun.
G.N.M. : Auriez-vous une expérience à partager à ce sujet ?
M.A. : On est allé en Allemagne avec un technicien, dans le cadre d’une répétition (ils étaient tous en vacances mais ils nous ont donné la clé du théâtre), il y avait la personne chargée d’assurer la permanence du théâtre qui était là, plus nous. Et puis tu as une personne qui ferme le théâtre, met les clés dans sa poche et s’en va à Munich alors qu’on répétait. Parce qu’il s’en va voir la famille et vous débarquez le matin vous attendez. Après j’appelle l’administratrice qui était dans son bureau. Et elle me dit, hier j’ai acheté le billet de train pour lui, il m’a dit qu’il allait à Munich je croyais que tu étais au courant…avec toutes ces tracasseries j’ai été obligé de faire appel finalement à un ami congolais qui vit en France qui est venu ici par le hasard des faits, il a travaillé avec nous 3 en quelques jours, il a dessiné le plan de feux qui manquait. Donc quand on vit de telles expériences on se pose la question de savoir pourquoi est-ce qu’il faut continuer de collaborer avec des gens qui ne comprennent même pas l’importance de ce métier ? C’est n’importe quoi.
G.N.M. : Qu’est-ce qui selon vous rend une proposition artistique unique ?
M.A. : Je me dis que c’est aussi l’endroit où se trouve la force de la proposition esthétique, de traverser cette adversité c’est hyper important. Et là on comprend justement que les frontières et tout ça sont quelque chose qui fragilise le continent tout entier. Parce qu’on a des amis à l’extérieur qui veulent seulement travailler, mais parfois on ne peut pas les faire venir parce que le visa camerounais coûte hyper cher. C’est pratiquement 50 000 francs CFA. Entre prendre quelqu’un sur place et faire venir un burkinabé, un Nigérien, c’est horrible. Si on prend 5 personnes de l’extérieur, rien que pour le visa ça pourrait être un cachet. Cela fait vraiment beaucoup. Donc les Camerounais c’est bon, les Africains non camerounais, parfois c’est mieux. J’ai installé OTHNI ici parce que je voulais être dans mon pays. Parce que comme toutes les autres fortes têtes, je pouvais aussi rester à l’extérieur, mais on s’est dit, le contexte est difficile, mais on va y essayer quelque chose. Mais tout va toujours de manière à ce qu’on devienne pessimiste.
G.N.M. : Comment percevez-vous le rôle de l’État dans le financement du théâtre et des arts en général ?
M.A. : Depuis qu’OTHNI a ouvert, ça fait 10 ans (13 ans en 2023), on a eu l’argent du ministère de la Culture, 1.5 millions, qu’on n’a pas eu au total, mais qu’on a quand même eu. Ils n’ont pas financé le théâtre, ils ont financé le département Arts Visuels. Je me suis dit … mais pourquoi ? Eh bien, parce que le théâtre dérange. On dénonce avec des textes, la façon de jouer. Prenons un ministère comme celui des Arts et de la Culture où on trouve au secrétariat quelqu’un qui est agronome de formation. Mais tu te demandes ce qu’il fabrique là. Il ne sait même pas qui est Ambara Martin, qui est Éric Delphin K. il n’en sait rien, il signe juste des papiers. Et puis tu as Monsieur le Ministre lui-même, qui arrive-là, il était d’abord dans l’armée, et puis soudain on l’envoie là-bas. C’est justement cela qui fait que les pouvoirs publics/le ministère de la culture et la culture, c’est deux mondes complètement différents. A côté de cela, le problème n’est pas forcément de se retrouver dans ce milieu, mais surtout de ne pas vouloir se mettre à jour par rapport à la connaissance et aux exigences de ce milieu de la culture. Or, au Cameroun personne ne veut se mettre à jour sur le plan général. Je connais des ministres qui ne savent même pas comment est-ce qu’on utilise un téléphone portable.
G.N.M. : Pensez-vous qu’il s’agisse d’un problème de culture ou de volonté ?
M.A. : Lorsqu’on regarde ceux qui nous gouvernent, leurs âges et mentalités, on peut établir un parallèle avec le domaine des Arts et de la culture pour comprendre comment est-ce que la culture est gouvernée au Cameroun. On a déposé des dossiers une fois, où on voulait aller faire un atelier à l’université avec des Allemands qui étaient venus ici, et le ministère des Arts et de la culture trouve la chose intéressante ils disent ok, on va vous donner des sous. Ils nous donnent une lettre d’accord, jusqu’au moment où arrivent les Allemands on n’a aucun financement. On s’en va, on emmène quand même nos collaborateurs à l’université et on va tout de suite au ministère de la culture leur dire, écoutez, les gars sont déjà là, vous aviez dit que vous deviez vous occuper de leur transport et que là-bas, puisqu’on va travailler toute la journée, leur café, etc. ce sera pris en charge. On fait donc comment ? Ils nous répondent, comme on n’a pas encore répondu…ils vont se débrouiller. Et voilà notre rapport avec le ministère des Arts et de la Culture. Mais à nous ils répondent, quand ils vont partir, on va suivre le dossier, et jusqu’à présent « ils suivent le dossier ».
G.N.M. : Comment se déroule la collaboration financière avec des structures étrangères dans vos projets artistiques ?
M.A. : Quand on collabore avec des structures à l’extérieur, dans le dossier il faut que le Cameroun (par forcément l’Etat, mais ce pourcentage doit venir du Cameroun, ou même d’une institution privée installée localement en tout cas) prenne en charge au moins 15% de la subvention qui est demandée. Il ne s’agit pas d’une loi par rapport au Cameroun, mais une condition par rapport aux institutions qui financent. Il s’agit toujours d’avoir un apport national. Or, cet argent pourrait être dégagé des 1 milliards que la présidence de la république du Cameroun verse dans le cadre du CASSPC (Compte d’affectation spécial pour le soutien à la politique culturelle). Ils connaissent justement cette loi des 15% à l’international mais ils n’en font rien. Ils vont condamner tout un dossier en ne donnant pas cet apport, et c’est à nous de jongler par intelligence pour prouver à l’institution de financement qu’on aura les 15%. Donc nous on prouve souvent avec nos bâtiments, ce que toutes les compagnies n’ont pas. Et on se dit plutôt que de loger les gens à l’hôtel, nous allons les prendre en charge, etc. et on essaie de voir comment ça couvre les 15% et ça passe toujours. Alors que, vraiment le ministère de la culture peut, il y a un compte d’affectation, ils peuvent le faire de la manière la plus évidente qui soit, il s’agit quand même d’un milliard. Et parfois les gens se posent la question de savoir où passe cet argent ?
G.N.M. : Pensez-vous que le théâtre soit le seul domaine artistique en proie à une telle adversité ?
M.A : On constate que sont mis en avant certains domaines artistiques par rapport à d’autres dont le théâtre en particulier. Les artistes musiciens par exemple, dans le cadre du compte d’affectation sont mieux lotis que les artistes du théâtre. Et pour cause, ces derniers drainent beaucoup de monde, ils ne sont pas subversifs, etc. Pourtant, c’est toujours ça, ce que j’appelle les lois de l’Etat. On a des institutions ici, on ne demande pas à l’Etat de nous donner de l’argent, on demande juste de réglementer les choses. La mairie draine des sous, on ne sait même pas ce qu’elle fait avec cet argent, les taxes des taximen (chauffeur de taxi), les marchés, MTN, Orange et les petits commerces, etc. On peut prendre même 0,1 franc CFA qu’on reverse dans la cagnotte du ministère de la culture qui se charge de répartir tout cela, c’est possible. Et il n’y a pas un million de compagnies de théâtre au Cameroun, juste une petite poignée.
G.N.M : Comment pensez-vous qu’on puisse y remédier ?
M.A. : On peut décider qu’on affecte toutes ces compagnies qui doivent dépendre d’une commune ou d’une mairie comme on le dit au Cameroun, et à chaque fois celle-ci va y prendre sa subvention pour travailler. Tout est possible, il suffit de l’organiser, mais personne n’y a jamais pensé et même quand on y a pensé parfois c’est la mairie qui le fait. Parce que les foyers avant ce régime-ci, le premier président avait construit les foyers pour le parti, et ces foyers étaient des endroits où les jeunes de l’UNC allaient souvent faire des représentations, des manifestations. Ces foyers dépendaient des mairies et recevaient de la mairie de l’argent pour que la jeunesse s’anime. Je me dis pourquoi est-ce qu’on ne réactualise pas cela ? Ça peut être le lieu qui justement dès que réactualisé, on pourrait s’y exprimer. Mais non, c’est laissé en léthargie. Pourtant c’est sûr qu’il y a une partie de l’argent de la mairie qui doit financer la culture et on sait où ça va. Ça va chez les femmes qu’on met en bordure de route qui tapent le tam-tam et dansent quand le Président passe, voilà « la culture ». Mais c’est clair, et comment est-ce qu’on les paye, parce que ces troupes-là appartiennent à la femme de tel Général, de tel Colonel. Et généralement la danseuse n’a droit qu’à 1000f de frais de taxi, et au casier de bouteilles sur lequel le percussionniste est assis. Ce qui m’anime justement c’est comment est-ce qu’on peut proposer quelque chose de fort dans un tel contexte ? Et moi c’est tout ce qui m’habite et je me dis, ok le contexte est difficile mais malgré cela comment est-ce qu’en faisant une représentation à Paris, je ne me sens pas complexé ? Me dire que c’est parce que je suis au Cameroun que j’ai pu le faire et non l’inverse, ça devient un défi personnel.
G.N.M. : Merci beaucoup, Martin, pour le temps que vous avez pris pour discuter avec moi aujourd’hui. J’ai vraiment apprécié votre regard sur le théâtre camerounais, les compagnies de théâtre, et les raisons de son votre mal-être. Nous vous souhaitons le meilleur pour la suite.
M.A. : Je vous remercie, en retour, de donner la parole aux artistes du théâtre. Ils méritent également d’être entendus ailleurs que dans les salles de spectacles. Cela m’a fait plaisir de partager mes réflexions et mes expériences avec vous. Bonne chance avec votre projet !
