Compte rendu

Compte rendu de Buata B. Malela,

La réinvention de l’écrivain francophone contemporain, préface de Paul Aron, Paris, éditions du CERF, « Cerf Patrimoine », 2019, 200 p.

Nao SASAKI
Université Meiji (Japon)

Il n’est pas déjà facile de cerner les enjeux de l’écrivain francophone vu le vaste champ historique culturel et littéraire qu’ils impliquent, d’autant plus que la question de l’identité nationale les rend plus problématique. Il serait encore complexe d’envisager la position de l’écrivain contemporain, car il s’agit de l’individu qui, grâce à la révolution de l’information, a accès à de multiples réseaux sociaux et médiatiques et qui possède donc non seulement diverses manières de se présenter, mais aussi la capacité de s’inscrire directement dans une stratégie littéraire. Quant à « l’écrivain francophone contemporain » incluant ces problématiques, quelle est son approche de la question identitaire, et quelle est sa position idéologique ou littéraire exprimée à travers les différents médias ? Pour comprendre l’essence d’une telle posture francophone contemporaine, Buata B. Malela propose d’envisager ensemble la production hybride des liens idéologiques, géographiques, littéraires et médiatiques des écrivains francophones. Selon ce chercheur, ils re-figurent un sujet qui pourrait se distancier des discours idéologiques tout en exprimant leur appartenance communautaire ou culturelle ainsi qu’une certaine continuité dans la lignée de la littérature française classique.

Composé de trois chapitres, La réinvention de l’écrivain francophone contemporain s’intéresse principalement aux écrivains afrodescendants à cause de la ressemblance de situation. La production de leurs livres est considérée comme symbolique de la littérature francophone depuis le début des années 2000, où justement l’on constate un phénomène de la mondialisation et de l’hyperinvidiualisme sur un fonds de développement technologique. L’originalité de ce livre est d’aborder la question du sujet dans son rapport aux nouveaux média (les blogs, Twitter, Facebook, etc.) ainsi que la question de la stratégie littéraire (les sphères de création et de production, le système littéraire) en mettant l’accent sur son processus de refiguration. Dans cette perspective, Malela traite des corrélations entre les matières qui servent au profilage de l’écrivain ou au renouvellement du positionnement de celui-ci.

Le premier chapitre « Un monde subjectiviste ? » est consacré aux discussions contextuelles et idéologiques sur l’écrivain francophone contemporain. Malela retrace l’apparition du néolibéralisme pendant la mondialisation économique des années 1990, et du développement des nouvelles technologies des années 2000, et met en lumière sa nécessaire prise en considération pour mieux saisir les principales caractéristiques de l’écrivain francophone contemporain entre 2000 et 2012. Il relève que, dans cette période, il paraît une aspiration d’une autre attitude à l’égard des discours identitaires existants et souvent dichotomiques, dans la mesure où les écrivains francophones continuent à publier en France mais commencent à se sentir mal à l’aise dans la catégorisation « francophone ». Comme le montre le cas d’Alain Mabanckou qui vit aux États-Unis, le questionnement de la subjectivité devient un enjeu de la prise de distance avec « l’obligation d’engagement exigée par l’héritage du champ littéraire » pour enrichir « une vision davantage impliquée esthétiquement et en élargissant le référentiel du discours » (p. 43).

Le deuxième chapitre analyse « les postures de l’écrivain francophone » en abordant les relations hybrides autour de différents axes identitaires, culturels et littéraires développées afin de créer une troisième voie, plus internationale et universelle. Malela identifie quatre caractéristiques de ces postures uniques, autour de Léonora Miano, Mabanckou, Calixte Beyala et Patrick Chamoiseau en particulier. Il s’agit : 1) de la posture « diasporale et francophone » soutenue par le renouvellement du sujet par rapport à la culture afro-américaine et aux enjeux sur les communautés francophones dans le monde ; 2) de la posture « ambivalente » qui se conforme à son image des différents codes culturels (France vs États-Unis, France vs Afrique) ou littéraires (légitime vs commercial); 3) de la posture « médiatique » créée et ajustée en ligne directement par les mains de l’écrivain, parfois avec l’adoption de la musique, qui permet à celui-ci de configurer « la mise en scène de soi en tant qu’auteur dans le monde littéraire à l’ère des réseaux sociaux » (p. 96); 4) de la posture « subjectiviste » exprimée dans l’écriture de soi, comme réflexion sur un sujet à la rencontre de l’autre dans le contexte contemporain.

 

Le troisième chapitre « une esthétique contemporaine ? » s’interroge sur un changement significatif du mode de la littérature. Malela y souligne « la tendance contemporaine du multisupport qui élargit nécessairement [l’]œuvre et explique les possibilités de postures multiples » (p. 104), en présentant des œuvres de Miano, Mabanckou, Catherine Millet, Beyala et Chamoiseau. Il s’agit de la création des voies médianes réconciliant entre la littérature large et restreinte, la culture intellectuelle et populaire, ou encore la visibilité et la lisibilité. L’esthétique de cette production se trouve dans le paratexte (présentation et disposition de la couverture du livre), le discours social représenté à travers l’intertextualité (les classiques français et les mythes africains, le roman et la parole), la subjectivité renouvelée par la narration de l’expérience individuelle (de l’urbanité, du corps, de la relation avec l’autre, du scandale). Le développement de présupposés proprement contemporains, hybrides nés dans les interactions de réseaux multiples (la question identitaire, littéraire, posturale et médiatique), montre ainsi le processus de réinvention de soi à l’ère de la mondialisation.

En exposant les postures hybrides de conceptualisation d’un caractère contemporain, Malela offre une analyse nuancée et très bien fouillée du processus de réinvention de l’écrivain francophone, à partir duquel de nombreuses applications pourraient découler. Ce livre est sans aucun doute destiné à des lecteurs universitaires qui possèdent déjà une bonne connaissance de la question du sujet et de sa terminologie, ainsi que des travaux de sociologie ou de marketing et des études philosophiques sur le rapport entre humain et héritage littéraire.