Aurélie Doignon
Docteur ès science de l’éducation, université de Caen
Abstract
In my experience as a dancer and as a researcher, Michael Jackson has proved to be a reference for dancers from the street dances. From Virginie’s career as a hip-hop dancer in France, to Ambroise’s career in Sabar dance in Senegal, MJ is the link to creation, and therefore to contemporary dance, having been a true conduit of knowledge for these artists. Learning by imitation and on the job, made possible by a well thought-out marketing campaign, highlights the importance of the indirect choreographic transmission of the artist.
Keywords: Transmission; Hip-hop dance; Identity Internationalization ; Learning
Introduction
En pratiquant la danse hip-hop depuis l’adolescence, mes professeures m’ont fait danser de façon récurrente sur les sons de Michael Jackson[1]. Elles nous ont transmis des modules chorégraphiques qui s’apparentaient à ceux de MJ. Bercée par ses chorégraphies et l’influence jacksonienne des cours de danse, j’ai ensuite retrouvé l’engouement pour cet artiste à Dakar auprès des danseurs de sabar (pratiquant ici également la danse contemporaine) les plus âgés du panel[2] que j’interrogeais dans le cadre de ma thèse, une décennie plus tard. J’ai également rejoint la compagnie Tchaka, dont Virginie Biraud, qui fut ma professeure de hip-hop, est la chorégraphe. Cet article s’appuie en particulier sur l’entretien que j’ai eu avec elle le 6 mai 2021.
Consciente que MJ a marqué les corporéités, je m’interroge sur une transmission sensorielle, artistique et didactique vers les danseur·ses. Ainsi, les extraits d’entretiens[3] visent à montrer ici comment, dans leurs parcours vers la professionnalisation en danse, MJ a été une image fondatrice et émancipatrice et comment il a permis d’ouvrir les regards et les corps vers des gestuaires différents de ceux auxquels les danseur·ses étaient habitué·es, voir acculturé·es.
Cet article s’attachera à noter les liens entre local et global, cette élasticité qu’a pu renvoyer l’artiste et qui a permis des affiliations multiples. Nous nous demanderons de quelle manière MJ a contribué à la démocratisation de la danse hip-hop, au travers notamment d’apprentissages informels (comme son imitation par des élèves danseur·ses en présence). Enfin, cet article se propose de mettre en avant l’importance de la diffusion de ses vidéos comme support didactique, ainsi que la mise en réseau construite par les acteur·ices (les fans) eux-mêmes, constituant une communauté d’apprentissages et de socialisation.
Gestion et jeux identitaires ; réception au Sénégal et en France
Élasticité plasticité du local vers le global : les marges d’identifications
Les identités de MJ (celles qu’il a voulu se donner et celles auxquelles on a tenté de l’affilier) ont pu paraître antinomiques, paradoxales. Au début de sa carrière, MJ était une figure de proue de la « blackness », l’incarnation pour un enfant pauvre et noir du rêve américain, dans sa réception sur le continent africain, mais aussi nord-américain et européen. Labellisation identitaire, la notion de blackness « s’est forgée autour d’une quête d’authenticité socioculturelle et d’une ethnicité globalisée »[4] où MJ est finalement devenu ce global, qui renvoie à un local, lui aussi populaire et potentiellement noir. Le concept permet justement d’interroger ces rapports de pouvoir, comme l’a démontré Fouquet[5].
Ainsi, MJ en tentant de mettre en avant son identité noire et l’identité blanche en devenir, acquiert aussi un caractère universel en adoptant peu à peu une couleur non déterminée (ou tantôt blanche et parfois noire, jouant avec le maquillage et à cause du vitiligo dont il est atteint). À l’instar de sa chanson éponyme, il incarne le black and white, la réunion des peaux noires et blanches à lui seul. Sciemment ou non, il joue avec les identités et leurs fonctions politiques (et poétiques ?), les significations du pouvoir que portent les modalités chromatiques et ce, à des échelles diverses[6]. En effet, « la couleur de la peau, polarisée entre blanc et noir, élimine d’autres couleurs qui deviennent de ce fait ”invisibles” » écrit Raibaud[7]. En choisissant de se blanchir de plus en plus, il se conforme à l’ordre politique établi (convenant que la réussite est associée à la peau blanche – de même pour le mariage). MJ porte l’ubiquité des jeux identitaires dans l’objectif de se rendre conforme à l’ordre politique permettant la sacralisation. Comme l’a démontré Garcia[8] dans l’existentialisme beauvoirien, la soumission peut être un préalable à l’émancipation.
MJ s’étend peu à peu vers un « global ». Il est un artiste dont la musique (et les clips, et avec eux la danse) s’épand dans le monde entier. Ainsi, au Sénégal, des danseurs (ayant aujourd’hui entre 40 et 50 ans) font référence à MJ dans leur parcours de danse. Concernant Ambroise, le glorieux surnom de « futur Michael » renvoyait à sa condition de chorégraphe ainsi qu’à la création chorégraphique dont il faisait part. Voici son expérience racontée :
L’animateur s’appelait Ambroise Gomis, comme moi. Et il faisait l’émission à la télévision vers 17 h jusqu’à 18 h, et tout le temps y’avait Michael Jackson qui passait à la télé […] Y’avait un gars qui dansait bien qui s’appelait Prince, y’avait les Mili Vanilli, tout ça tu vois, notre inspiration de danse venait à 100 % surtout de Michael Jackson, il nous a tellement inspirés […]
J’ai commencé à l’imiter à l’âge de 15 ou 16 ans, les gens m’appelaient « futur Michael, futur Michael, futur Michael » et j’étais le chouchou du groupe ! C’est moi qui faisais les chorégraphies, malgré mon jeune âge […] Kolédéra c’est : on loue des bâches et on fait des tentes, et tu paies l’entrée à 500 francs, et tout le temps on m’invitait « y’a le jeune Ambroise qui va se presser aujourd’hui, un qui va présenter un spectacle de Michael Jackson », et je venais, j’étais une star du coin. Je faisais ma prestation et on me donnait 1500-2000 francs (il rit) […]
Nous avons formé notre groupe New Jack Swing. On était cinq. Et on avait un groupe, vraiment… on était solides. On était jeunes, et on aimait la danse, on partageait tout. Y’avait pas de répétitions : tout le temps on répétait !
Finalement, en retranscrivant l’idée de MJ d’une part, mais aussi des Jackson Five avec son groupe de 5 jeunes hommes noirs (et le nom qu’ils se donnent !), Ambroise se positionne dans les pas de son mentor, et cette imitation marque pour lui la preuve d’un spectacle « à voir », que l’on peut faire payer, car digne des frères Jackson. Pour ces jeunes hommes issus de milieux modestes, c’est déjà un petit revenu. De surcroît, ces danseurs (j’en ai rencontré deux) ne sont pas issus d’une famille de griots, comme le veut la tradition artistique locale (transmission par atavisme). Ainsi, le rattachement, non pas à une famille griotte – nécessaire à la légitimité artistique locale – mais à une famille que l’on pourrait qualifier de griots internationaux (la famille Jackson) leur permet d’être un tant soit peu crédibles. À ce propos, notons que l’ouvrage de Moity-Maïzi [2015] a démontré les modalités de qualifications et d’institutionnalisation des compétences professionnelles en Afrique, relevant d’interactions codifiées, reliées à des pratiques, ici celles de transmission légitime du savoir par la famille. Dans ce contexte, la transmission du savoir par atavisme s’avère être la voie légitime, sans transaction financière. Le cas de la famille Jackson est intéressant, car il s’agit certes d’un apprentissage au sein de la famille, mais également d’une forme de patronage[9], sous l’égide du père et avec une discipline de fer.
MJ a permis à Ambroise de gagner en célébrité de manière individuelle et d’acquérir, à travers un surnom, une image de marque, une renommée. Quant à son groupe, le patronyme sans équivoque permet de rallier ces danseurs à une communauté de pairs et de pratiques[10] qui se retrouve autour de la gestuelle et de l’énergie des frères Jackson. Nous le verrons plus en détail dans la troisième partie de cet article : la communauté de pratiques permet de s’insérer dans un macro-marché et de tisser un réseau d’acteurs de la danse. Pour Ambroise, lui et ses amis ne répétaient pas : leur vie était tournée autour de la danse. Il marque ainsi son implication à toutes les échelles et une vie orientée spécifiquement vers la danse. Plus tard, en tant que chorégraphe, il affectionnera particulièrement le fait de se fariner le visage, de se peindre le corps et de réaliser la scénographie et la chorégraphie de clips.
Serge-Aimé Coulibaly, danseur d’origine burkinabé, a expliqué sur France Culture qu’il a commencé à danser dans les fêtes de lycée « avec » Mili Vanilli et Michael Jackson[11]. MJ a donc été chez lui aussi le déclencheur d’envies de danser, dans les fêtes d’abord, puis de façon professionnelle. Un autre danseur sénégalais, Bané Ndiaye m’a également raconté le principe des foukheul, fêtes qui ont eu lieu jusque dans les années 2010. Pour lui, c’est aussi la musique de MJ qui l’animait et sur laquelle il a commencé à danser : « Chaque fois, on dansait sur la musique de Michael ! (il rit) On faisait des chorégraphies sur la musique de Michael […] On le faisait dans les écoles aussi. »
La référence aux quartiers, à un local (chaque quartier a sa fête, son groupe et est identifié) qui se tourne vers un global, est prégnante dans cet extrait de discours. De même, c’est l’aspect festif qui ressort lorsque les danseurs évoquent la musique et la danse de MJ et sa faculté à rassembler, que nous retrouverons plus loin dans le discours de Virginie. Enfin, le fait d’effectuer ces chorégraphies dans les écoles met en avant la volonté de transmettre leur passion de la danse envers les plus jeunes.
La récurrence de l’univers nocturne et de la rue dans les clips vidéos de MJ, fait écho avec les danseur·ses de sabar au Sénégal : une activité populaire, urbaine. De surcroît, la nuit apporte une image onirique, où les créatures imaginaires peuvent être données à voir. Dans les évènements sabar, on peut assister au spectacle des faux-lions, qui sont aussi des créatures imaginaires, pouvant faire peur tout en dansant. Enfin, la nuit permet aux humains une relative uniformité des couleurs de peau : blancs et noirs apparaissent moins contrastés[12]. Toutefois, si MJ tend à pencher vers un caractère dissolu des couleurs blanches et noires chez les hommes, il joue d’un aspect « orientaliste » pour ses danseuses femmes, où le caractère « exotique » est parfois marqué (clip Smooth Criminal). À ce propos, le clip Black or White s’inscrit tout à fait dans une exotisation culturaliste des danses d’Afrique, d’Inde, d’Amérique ou encore de Russie, bien qu’à priori, l’artiste souhaitait montrer ici son caractère international et le fait que sa danse, sa musique, puissent s’allier avec tous et toutes. MJ joue donc, lui aussi, du caractère rassembleur et international qui lui est conféré[13].
À l’image des « paysages », que propose Appadurai[14] pour définir les flux culturels globaux, et qui prennent formes et sens avec l’action humaine, MJ est la figure et la représentation du global, qui fait écho dans les sphères locales sénégalaises (le paysage n’est pas figé, il s’adapte), déjà par sa couleur de peau, son style vestimentaire soigné, la référence à des artistes du continent, mais aussi à un style de danse clairement singulier, à la fois urbain et aux influences africaines[15]. Les mouvements de bassin, de hanches, récurrents dans les chorégraphies de MJ, rappellent les gestuaires de nombreuses danses d’Afrique, tout comme l’idée de répétition[16]. De même, son influence en Afrique est indéniable (tout comme d’ailleurs, l’influence que certaines danses ou sonorités[17] d’Afrique ont sur lui), mais il est intéressant de voir que la seule étape africaine de la tournée internationale des Jackson Five entre 1972 et 1975 a eu lieu au Sénégal. Ainsi, en paraphrasant Matisse[18], la façon de faire art ne peut pas être séparée de ceux qui la produisent, ceux pour qui c’est, ici, une consistance de leur mode de vie, ou dit autrement « le sens est l’usage »[19].
Les battles : danser la compétition
Nous relevons que dans de nombreux clips (Smooth Criminal, Dangerous, etc.), il est question de combat. Nous émettons plusieurs hypothèses : celle d’abord du scénario qui permet d’accentuer la danse ; la seconde autour d’une idée de toute-puissance de l’artiste, voire de masculinité hégémonique ; et enfin, celle, au contraire, de rendre les rixes risibles, où seul l’affrontement dansé aurait de la valeur, à la manière des danseurs hip-hop. En cela, il impulse les prémices des battles dans un univers du show-business, plus bankable que l’univers des danseurs hip-hop ou de voguing, où les danseurs s’affrontent sur la piste de danse et tentent, le mieux possible, de se mettre en valeur (voire de dévaloriser l’autre ou l’équipe adverse).
C’est ainsi que l’on retrouve des battles entre « Michael » de différentes régions du Sénégal. Le récit d’Ambroise nous montre comment ces évènements sont des moments festifs et amiables, mais aussi des lieux de création et de monstration des personnalités artistiques :
Y’avait deux groupes qui étaient à Ziguinchor, qui faisaient la guerre ! Entre eux. Bon moi je suis venu, je suis là, innocent, et dans le quartier, tout le temps, je danse « tchaktchktchak », je danse, et là je commence à avoir des fans dans le quartier. Tout le temps les gens viennent […] Et un samedi il m’a dit qu’il y a un concours de danse, dans une boite, et il faut qu’on parte, j’ai dit « je suis partant, on y va ! ». Et clac ! J’ai retrouvé là-bas le Michael Jackson de Casamance ! (il rit) […] Mais le gars, il est parti voir le DJ, il lui dit qu’il y a un cousin qui va bastonner aujourd’hui, il va ridiculiser votre Michael Jackson, c’est un danseur, il vient de Dakar ! Tu sais au temps, si tu étais un danseur, on disait que tu viens de Dakar, tu avais tous les atouts ! […] Comme nous aussi ici à Ziguinchor on a aussi notre Michael Jackson, donc un concours va s’organiser maintenant ! Là, là, là, là ! Choisissez celui que vous voulez, et clap ! » On entre sur scène, lui et moi. Il fait, moi je fais, il fait, moi je fais […] Du coup le gars ne danse plus ; il me regarde. (Il rit). Et alors là il m’attrape : « Non tu es le meilleur, woupoupoupoupou !! »
Ce discours met en relief cet international (MJ), qui, au Sénégal, est renvoyé au local qu’est Dakar : Dakar est la référence et fait autorité comme gage de professionnalisme. MJ est donc un acteur « glocalisé ». Ambroise se positionne comme la référence de ce local, dans un premier temps parce qu’il vient de Dakar, et parce qu’on l’affilie, on le rattache à MJ. On retrouve ici le concept d’aura de Benjamin[20], avec l’autorité naturelle qui s’impose de manière quasi universelle et la réappropriation de cette aura par les artistes : le qualificatif MJ est associé de fait à un bon danseur. Ambroise est nommé ainsi pour ses qualités artistiques, affiliées à celles de MJ, en plus de l’imitation gestuelle.
L’imitation est donc le principal vecteur d’apprentissage[21]. Constituant un gestuaire hybride, à la croisée des danses urbaines, contemporaines et africaines, MJ a étayé un style à, sinon imiter, au moins à tenter de retranscrire dans ses axes forts, comme le moonwalk (appelé aussi back slide). C’est d’ailleurs ce mouvement qui marque la distinction entre celles et ceux qui « y arrivent » (à l’exécuter, et donc à se rapprocher du génie jacksonien) et les autres. MJ détient un rôle de passeur[22] par l’effet d’entraînement vers le domaine artistique qu’il a pu engendrer et par le fait que sa gestuelle n’est plus « l’objet d’une représentation purement esthétique, mais la traduction d’une identité artistique »[23].
Une nouvelle façon d’apprendre la danse
La vidéo comme entrée didactique
Sur le plan didactique, le visionnage des clips vidéos de MJ a permis à de nombreux danseurs et danseuses de se former. Comme me l’a raconté Virginie :
Comment on faisait pour voir la danse ? c’est les clips. Mais les clips ont vraiment pris leur ampleur dans les années 1980-1981-1982 et c’est là que moi, je suis tombée en admiration et amoureuse de Michael Jackson, comme beaucoup de filles à l’époque, je pense ! Et à 7-8 ans je m’entrainais déjà, j’ai découvert le clip Billie Jean qui, vraiment, tournait en boucle sur toutes les chaînes. Ça a été un phénomène interplanétaire. Il n’y avait pas une chaîne qui ne le passait pas sans arrêt. Il n’y avait pas de replay, tout ça, il n’y avait pas besoin parce qu’on le passait en permanence.
Ce dernier terme, celui de « permanence », est une idée bien connue dans le champ pédagogique de la danse : répéter, encore et encore un mouvement, une chorégraphie pour l’assimiler. Ici, cette permanence était assurée par le média télévisuel et par la diffusion planétaire de ce clip. L’artiste entrait dans le domicile des gens, en continu. Caler ses pas sur son modèle était donc possible à toute heure et, en cela, sur le plan didactique, les clips globalisés et la télévision ont opéré un virage important dans la possibilité d’apprentissage de la danse. Ils ont permis à ceux et celles qui n’avaient pas accès aux cours de danse (financièrement, ou parce que vivant en milieux ruraux, etc.) de se créer une salle de danse à domicile.
Il s’agissait d’un apprentissage par jeux de rôles et d’imitations, l’intégration d’un habitus rythmique et d’un hexis gestuel, et ce, parce que MJ et sa sœur Janet représentaient des modèles auxquels les passionné·es de danse de l’époque s’identifiaient.
Jouer un rôle s’effectue à plusieurs niveaux. Déjà, on observe que MJ était lui-même dans des performances (aux sens de Butler, de Foucault) à la fois de genre et de couleur. L’entretien de cette hybridité, ou fluidité, permettait alors à un panel de personnes assez large de s’identifier à lui. De surcroit, la permanence du travail de costumes et d’accessoires dont il a fait usage, permettait (et continue de permettre) le jeu scénique et le travestissement qui participent intrinsèquement de l’identité de ce dernier. C’est bien ce sens du jeu, développé par Bourdieu[24], que MJ a mis en place, à savoir un sens aigu des ajustements en fonction des fluctuations du champ investi, ici celui de la musique et de la danse pop.
Cette vision de l’apprentissage de la gestuelle jacksonienne par mimétisme a déjà été véhiculée par l’artiste lui-même : dans le clip Smooth Criminal, deux enfants regardent par la fenêtre et l’imitent. Cet apprentissage sur le tas[25], par frayage[26], par friction, MJ lui-même l’a expérimenté, en imitant par exemple Jackie Wilson ou James Brown. On peut d’ailleurs lire cette citation de l’artiste, qui peut être renvoyée à lui-même : « La meilleure éducation au monde, c’est d’observer les maîtres à l’œuvre »[27]. Au-delà de danseurs ou de personnages humains, ce même ouvrage nous explique que MJ imitait la gestuelle des animaux comme les grands félins ou les antilopidés (par vidéo également) pour l’injecter dans sa danse. C’est en effet ce jeu de force, de puissance mêlée de délicatesse et d’à-coups, que l’on perçoit en le regardant danser.
Les making-of comme objets de transmission de savoirs
MJ a non seulement été un des pionniers dans le développement cinématographique des clips vidéos qu’il proposait, mais aussi un précurseur dans la diffusion du travail de réalisation de ses clips et de ses chorégraphies. En effet, il montrait à son public et expliquait l’envers des tournages. Cette forme de médiatisation de l’envers du décor, les danseur·ses en devenir s’en sont emparée comme d’une formation, d’un univers pédagogique vidéographique.
À 8 ans, j’ai commencé comme ça, de façon autodidacte, et puis je n’ai pas pu m’arrêter. C’était pas seulement être fan de Michael, c’était vraiment découvrir que dans les clips, il y avait différentes danses, de découvrir qu’il y avait aussi du jazz, qu’il y en avait aussi d’autres […] du mime, et c’était fascinant, à travers les clips, de comprendre les différents chorégraphes. Parce qu’en fait Michael, il faisait des vidéos de tournage montrant comment les clips se passaient […] Non seulement, il a été le premier à faire des clips avec un scénario, un film [mais] depuis 1982, les gens ont été […], tout le monde a été obligé de s’aligner pour ajouter vraiment des histoires à leurs clips. Et ça, c’est devenu incontournable.
Ce cadre de l’expérience, de l’apprentissage informel, évoqué ici par Virginie, met à jour la dimension didactique de la vidéo, ainsi que la pluridisciplinarité à l’œuvre dans la danse. Les barrières préétablies des esthétiques (hip-hop, jazz, etc.) étaient battues en brèche et permettaient, de fait, d’y incorporer une dimension libre et créative. Autrement dit, MJ a permis aux danseur·ses en devenir de créer leur propre style, en donnant l’exemple d’une danse sans frontières gestuelles ou catégorisées.
Virginie me fait part de son ressenti suite au visionnage du making-of faisant suite au clip de Thriller
Il a fait tout un making-of pour montrer toutes les étapes de maquillage et il a fait la même chose pour la chorégraphie. Donc, on a vu Michael Peters[28] répéter avec lui, on voyait tout ! Enfin tout le process du clip. Et du coup, en voyant les making-of des clips vidéos, personnellement, j’ai commencé à apprendre mon métier de chorégraphe, à voir qu’il fallait compter en huit, à voir comment se passaient les répétitions.
Ainsi, MJ, en diffusant ses making-of, non seulement vendait des cassettes vidéos supplémentaires, mais pouvait gérer l’image qu’il donnait : celle d’un créateur de courts-métrages mais aussi d’un artiste qui contrôlait son image, en donnant à voir sa façon d’apprendre et de travailler les chorégraphies avec ses chorégraphes. Il pouvait alors jouer sur l’image virtuose qui lui était conférée, par exemple. De plus, il a, sans le vouloir, incorporé une dimension pédagogique : Virginie, en les observant, par des « savoirs collatéraux »[29] a, ainsi, pu compter dans ses acquis la technique de comptes en danse (en 8 temps), en plus des aspects ayant trait à la gestuelle. C’est d’ailleurs le cinéma qui l’inspire beaucoup aujourd’hui pour la création de ses spectacles. Or, MJ est un artiste qui s’est inscrit dans une perspective « totale » de l’art, portant autant de crédit à sa musique, à ses compositions, à sa danse, qu’à la réalisation des clips qui leur sont associés. Benjamin avait mis en évidence la puissance du film dans la transmission, d’une part, et dans la diffusion de l’œuvre d’art, d’autre part[30]. Mais tandis que, pour ce dernier, le film reproduit en masse conduisait à la destruction de l’œuvre, ici le clip vidéo est l’œuvre – une œuvre qui permet d’en engendrer de nouvelles à travers l’objet d’inspiration qu’elle devient.
La transmission de la gestuelle de MJ
Comme bon nombre de danseur·ses, c’est le pas du slide arrière, nommé plus tard moonwalk que Virginie a d’abord tenté de réaliser comme son idole, et qui l’a fait entrer dans un apprentissage par imitation des chorégraphies, de clips et de spectacles. Sous forme de courts-métrages, les clips très esthétiques de l’artiste donnent à voir les détails. Il est possible de décortiquer les chorégraphies, compte tenu de la précision et de la synchronisation des danseur·ses. Il est également une référence dans la monstration effective de ce que produisent les ruptures de rythmes. On peut dire, ainsi, en s’appuyant sur le discours des interrogé.e.s, que MJ est le créateur d’un esthétisme unique, valorisé, dont se sont emparé·es les danseur·ses, afin de se distinguer à leur tour.
Alors que son parcours de chorégraphe s’inscrit dans une démarche d’éclectisme et de mélange (le nom de la compagnie porte cette signification en langue Mina) des genres et des styles[31], la chorégraphe de la compagnie Tchaka aborde la transmission dans une démarche plus compartimentée de la danse.
C’est vraiment l’enseignement que j’ai eu des danseurs de Michael[32] qui, eux, nous ont donné vraiment des termes techniques pour leurs pas. Ils nous ont expliqué comment ils ont créé. Donc, là, il y a une démarche autre et du coup moi, en tant qu’enseignante, j’estime qu’il faut que je montre les pas tels qu’ils ont été créés. Alors je les ai déformés à ma sauce aussi, certainement, parce que chaque danseur est différent, mais quand même j’espère, j’essaie d’être fidèle ; par exemple un skeeter rabbit ça va être un skeeter rabbit, il a une façon de se faire, tu vois, en lock[33]. T’as des pas : le fresno ça reste un fresno[34] en pop, tu vois, il y a quand même des gammes auxquelles on ne peut pas déroger et même si après la créativité est […] bien sûr, voilà […] mais la base reste la base et j’essaie d’enseigner ce qu’on m’a transmis par les anciens.
La notion de transmission par les ancien·nes se retrouve aussi et ce, de manière récurrente, chez les danseur·ses de sabar. J’ai d’ailleurs fait ressortir la notion de « patronage » à l’œuvre dans la transmission de la musique et de la danse sabar, où les anciens (associés aux pas et mouvements traditionnels) sont perçus comme des références[35].
MJ est ce que Sorignet[36] appelle un passeur, une personne clé pour l’entrée dans la danse, et ce sur plusieurs décennies et à travers différents continents. Ainsi, la retraduction littérale par ses « élèves », l’acquisition d’un « capital corporel » affilié à celui de MJ, sont des moyens de valorisation double. En effet, ils mettent autant en avant l’artiste auquel il est fait référence que le danseur qui s’associe à MJ : lui ressembler, c’est se rapprocher de son talent et, parfois, de l’illusion d’une notoriété[37]. C’est une mise en lumière de l’artiste à travers soi, et inversement.
Internationalisation
Co-construire une communauté de pratiques : « les fans de Michael, on était des clans »
Dans les années 1990, les groupes de fans s’organisaient et ce, de façon transatlantique, afin de s’échanger posters, cassettes vidéos, etc. Virginie m’a raconté son expérience avec sa correspondante américaine, qui lui permettait de détenir des objets qui ne se vendaient pas en France. C’est aussi ce réseau qui permettait aux danseurs et danseuses de prendre des stages à Grenoble, avec les chorégraphes de MJ : Michael Peters (pour la technique jazz) et Poppin Taco (pour la technique popping).
Or, c’est bien cette rythmique – une scansion du corps empruntée au popping – qui a fait la particularité et la marque de fabrique de l’esthétique jacksonienne. De même, les changements récurrents et nets de poids du corps dans la construction de sa gestuelle (qui, on l’a vu plus haut, sont aussi inspirés des animaux de la savane).
Le réseau constitué par les fans consistait en un maillage selon les affections et les domaines artistiques de prédilection comme l’explique ici Virginie :
Quand j’ai été plus grande et que j’ai eu la chance de le voir en concert à Paris, à Toulouse, j’avais 18 / 19 ans, là j’ai rencontré les fans du monde entier, et on s’est aperçu qu’il avait développé vraiment plein d’artistes en herbe, de n’importe quel âge, de n’importe quel pays, de n’importe quelle couleur. Tout ce qu’il pouvait véhiculer dans sa musique et dans ses textes, ben on avait tous appris à parler anglais déjà, parce qu’on voulait comprendre ce qu’il disait dans ses textes, on se parlait entre nous parce qu’il y avait des chanteurs qui étaient vraiment à fond sur le chant. En fait tu développais la partie artistique qui te correspondait le mieux. Donc il y en a c’était l’écriture, d’autres c’était le chant, d’autres c’était la danse. Moi, personnellement, à l’âge de 16 ans j’ai commencé à monter mes spectacles.
L’apprentissage par autodidaxie est conséquent. Toutefois, même seul dans sa chambre, l’élève peut échanger avec ses pairs et prendre part à une communauté internationale et divisée en sous-champs. L’extrait d’entretien met bien en relief le fait qu’il ne s’agit pas uniquement d’apprentissages informels artistiques qui sont à l’œuvre dans cette communauté de pratique : l’apprentissage de l’anglais et le goût pour cette langue par exemple ne sont pas négligeables ; d’ailleurs, Virginie a suivi une licence d’anglais plus tard. C’est en arrivant à Bordeaux qu’elle a intégré des groupes de street dance, tous fans de MJ, hommes comme femmes[38].
Cette communauté de pratique, dont on perçoit bien ici les « histoires partagées d’apprentissage »[39], s’ouvre également au monde extérieur, voire se mêle à d’autres communautés de savoirs et de pratiques (celle de la danse jazz par exemple). C’est un réel « transfert expressif »[40] que MJ a mis en œuvre : dans son œuvre monumentale, les supports artistiques interfèrent les uns aux autres. Ici, la communauté de pratique des danseurs intègre et questionne plusieurs horizons du registre jacksonien.
La propulsion vers le haut du hip-hop
L’émergence de nouvelles « scènes »[41] des cultures hip-hop[42] met en exergue leur institutionnalisation, leur mise en art et en sport[43].
Virginie met en avant le fait que, dans les années 1980, on ne faisait pas confiance aux danseur·ses hip-hop. MJ a donné des lettres de noblesse à la discipline et a mis en avant les formes « debout », qui avaient été propulsées par l’émission « Soul Train » dès 1970[44] :
Michael, c’est vraiment la référence pour les danseurs du debout […] Tous les pionniers des lockeurs, Michael a travaillé avec eux […] Michael a eu quand même une aura particulière, c’est parce que c’est lui qui a fait connaître la danse hip-hop au monde entier. Tous les hip-hopeurs des années 1980 ont forcément vu le clip Thriller, avec dedans Suggar Pop, Poppin Peet, Poppin Taco. C’est les premiers danseurs de Michael Jackson, ce sont les pionniers de la danse hip-hop aux États-Unis, en debout. Et du coup, tous les hip-hopeurs se sont identifiés à ces personnages-là. Ce sont les personnages qui dansent en zombies, à la fin du clip ils font comme s’ils avaient plus de tête. Et Michael était vraiment le seul à faire travailler les danseurs de rue de ce type, il prenait les meilleurs et il prenait les personnes les plus en vogue à l’époque, qui participaient à l’émission « Soul Train ».
En faisant émerger un art de la rue (plutôt dévalué par les institutions culturelles à l’époque) sur le devant de la scène, il a participé à la transposition (des rues aux scènes de spectacle) et, de fait, aux prémices de l’institutionnalisation des disciplines « debout » de la danse hip-hop. Aujourd’hui, de grands événements internationaux (comme le Juste debout à l’Aréna de Bercy à Paris) sont organisés dans le monde entier. On observe d’ailleurs chez certain·es participant·es un style vestimentaire qui n’est pas sans rappeler celui de MJ. L’artiste arrive aussi à rendre des pas de danse à la fois mythiques et en proue à des débats sur leurs aspects « mystérieux » (comme le déséquilibre vers l’avant). Ces intrigues didactiques participent de la magie et de l’engouement pour le personnage.
Au-delà de la danse hip-hop, le clip Billie Jean porte l’idée de transfuge de classe (un sans-abri qui devient riche) qui peut s’observer soit comme la personnification de la danse hip-hop, soit comme une transposition du parcours de MJ lui-même.
Le business model : déclinaisons, adaptations
Clifford Geertz écrivait que : « La variété de l’expression artistique découle de la variété des conceptions qu’ont les hommes, de la façon dont sont les choses, et appartient en fait à la même variété »[45]. C’est un vrai travail centré autour de la musique et de la danse qui s’est étoffé autour de MJ : des versions des morceaux, ainsi que les clips affiliés étaient déclinés en fonction des pays. D’une part, les amateurs s’échangent morceaux et chorégraphies, ce qui alimente le phénomène de rareté et de singularité ; d’autre part, l’adaptation, la flexibilité en fonction des récepteurs, marque autant la forte propension à coller au plus près des fans qu’elle participe d’une logique marchande capitaliste, où la rareté fait augmenter le prix du produit. Virginie le raconte ainsi :
– J’étais dans ma Charente, il n’y avait pas de danseurs autour de moi, mais j’avais cette énergie-là de me dire fan de Michael quoi ! Et les fans de Michael, on était des clans. On s’écrivait entre nous, on s’écrivait des lettres.
– Mais, du coup, tu les trouvais comment ?
– Déjà à l’école, et puis après dans les magazines fans de Michael, il y avait des petites annonces. Donc t’écrivais aux gens « moi j’ai pas tel poster de tel clip », « moi j’ai pas tel truc… » ou alors parce que les gens habitaient en Belgique… D’abord c’était la France ou les pays francophones : Belgique, Suisse, donc du coup il y avait des paginations différentes et moi je découpais toutes les photos de Michael. Et forcément c’était écrit en flamand, c’était écrit en… tout le monde cherchait ce truc pas commun ou la photo donc on s’échangeait des photos, des machins, comme on peut faire avec les cartes Pokémon. Les fans de Michael, on était une grande secte comme ça là tu vois (rire)! […] J’avais même une correspondante américaine pour qu’elle m’envoie les trucs des États-Unis, c’était génial ! […] Et du coup on devenait pointilleux, parce qu’on faisait attention avec quel musicien il travaillait, attention à quelle star était dans ses clips, on faisait attention, enfin, tu vois, les fans vraiment on était pointilleux sur toute l’équipe qu’il avait autour de lui.
On voit bien ici une capacité des fans à vouloir co-construire, sinon avec leur idole, du moins entre eux une expertise, que celle-ci soit au niveau de la danse, du chant, etc. La diffusion des caractéristiques de MJ a opéré à des niveaux très différents et est révélatrice de la « monumentalité »[46] de son œuvre, qui fait appel à plusieurs démarches artistiques, jusqu’au capital stylistique qui porte une dimension importante et identitaire[47]. « La monumentalité rend la vie à l’intégralité de ses pouvoirs » écrit Henry[48] pour rendre compte de cette pluridisciplinarité, ainsi que du fait que, dans l’œuvre d’art monumentale, tous les sens sont sollicités.
Enfin, la richesse de MJ en matière chorégraphique porte sur le caractère prolixe des propositions dansées – et ce sur une même chanson – toutes les déclinaisons, en matière de sons et de gestuelles qu’il pouvait proposer :
C’était hyper riche, il y avait la choré du clip et la choré sur plateau, c’était jamais les mêmes. Et moi, je sais que Michael et Janet pour ça, ils étaient très forts, commercialement parlant, parce qu’ils te sortaient le clip, ils te sortaient la choré de plateaux et ils te sortaient les remix au niveau musical. Et du coup tu n’en avais jamais fini ! Un titre, tu avais trois-quatre versions différentes et c’était un truc de fou, tu te disais « ah, il a ajouté ça dans la choré », « ah, il a ajouté ça musicalement » ! Il y avait toujours un truc à découvrir, c’était génial !
Objets de culte, pour reprendre l’expression de Benjamin[49], les remix des clips ont été pour Virginie de vraies révélations quant aux possibilités de déclinaisons chorégraphiques et gestuelles qu’elles offraient et que l’artiste donnait à voir.
Tu avais des remix du Japon qui n’étaient pas les mêmes qu’en Europe, qui n’étaient pas les mêmes qu’aux États-Unis… ça te faisait une richesse musicale ! […] Alors moi, personnellement, je cherchais à acheter de partout parce que plus j’avais de remix, plus ça me donnait de la nourriture spirituelle pour chorégraphier dessus et ça faisait des sons différents.
On voit ici que MJ voulait correspondre au mieux à ses publics et avait conscience des notions d’interculturalité… qu’il pouvait potentiellement déjouer. Il s’est, de manière générale, inspiré des danses dites « du monde », des inspirations chorégraphiques multiples qui s’offraient à lui. Sa proposition scénique de corps désarticulés était assez novatrice.
Conclusion
MJ est le reflet d’identités multiples, rêvées (l’Amérique, la richesse, le succès) ou internationales (les couleurs, la danse). Il participe de la mondialisation culturelle et incarne la World Music qui, l’écrit Raibaud :
semble participer à la création d’une sphère musicale utopique à l’intérieur de laquelle les diversités culturelles ne sont plus des frontières ou des obstacles, mais des richesses partagées au sein d’une humanité plurielle. L’industrie musicale brouille les cartes, encourage le métissage, standardise les productions ethniques pour en faire des produits de masse[50].
MJ a acquis un style personnel et identifiable – vêtements issus de costumes militaires, de costumes de soirées…. il est à la fois blanc et noir, ni blanc, ni noir – qui n’est pas sans rappeler celui des sappeurs congolais[51]. En termes de transmission, son apport, bien que sous forme d’apprentissages fortuits (selon la topographie de Schugurensky[52]), est conséquent : chant, danse, animations vidéos, mais aussi langue, débrouillardise… Les fans de l’artiste ont appris de lui et entre eux, révélant des savoirs collatéraux[53] et des apprentissages co-construits et informels. C’est la distinction entre la part tangible, qui « se transmet, parce qu’elle s’appuie sur un savoir, car un savoir qui ne se transmet pas n’en est pas un. C’est cela qui s’enseigne, qui s’apprend et qui se situe sur le plan de la socialisation », et la part révélée « qui ne s’enseigne pas, parce qu’elle est absolument singulière et imprévisible »[54] et fait donc écho à une identité indéfinie, qualifiée parfois de don, de révélation.
Alors que la danse hip-hop a émergé dans les quartiers les plus populaires des États-Unis et pouvait être cantonnée au breakdance, MJ et son chorégraphe Poppin Taco ont mis à l’honneur les techniques de popping, de locking, et de slide. Plus tard, sa collaboration avec Michael Peters et l’ajout – dans ses chorégraphies et en plus de sa singularité gestuelle marquée – de techniques jazz, ont permis aux danseurs d’explorer de nouveaux horizons. Ressembler (chorégraphiquement) à MJ, c’est aussi expérimenter, désarticuler les corps, travailler les notions d’à-coups et de poids du corps.
Bibliographie
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Notes
[1] Michael Jackson sera ensuite dénommé MJ dans le reste de l’article.
[2] Entretiens qualitatifs de 42 danseur·ses de sabar à l’occasion de ma thèse de doctorat, soutenue le 26/11/2019.
[3] Les entretiens seront ici retranscrits au plus près et dans la mesure du possible, dans le langage et avec la syntaxe propres à mes interlocuteur·ices.
[4] Hélène Quashie, « La “blanchité” au miroir de l’africanité. Migrations et constructions sociales urbaines d’une assignation identitaire peu explorée (Dakar) », Cahiers d’Études Africaines LV 4 (220), 2015, p. 761–785.
[5] Thomas Fouquet, « Construire la blackness depuis l’Afrique, un renversement heuristique », Politique africaine, 4 (136), 2014, p. 5-19.
[6] Thomas Fouquet, op. cit., p. 9
[7] Yves Raibaud, « Peut-on parler de musique noire ? », Volume !, 61 (1-2), 2008.
[8] Manon Garcia, On ne nait pas soumise, on le devient, Flammarion, 2018.
[9] J’ai développé cette notion dans ma thèse. Voir Aurélie Doignon, La « mise en savoirs » des danses africaines. Approche anthropo-didactique des liens entre transposition d’une pratique culturelle et évolution de ses modes de diffusion : le cas du sabar au Sénégal et en France. Thèse de doctorat en Sciences de l’éducation, Université de Bordeaux, 26/11/2019.
[10] Jean Lave et Etienne Wenger, Situated Learning: Legitimate Peripheral Participation, Cambridge, Cambridge University Press, 1991.
[11] Affaires Culturelles, France Culture, 31/05/2021. URL : https://www.franceculture.fr/emissions/affaires-culturelles/serge-aime-coulibaly-est-linvite-daffaires-culturelles?fbclid=IwAR19tLZ5cYzcNpEevo5zaMy-zHXEGibGTnDUUSIGs16tzpaQl_9VzbcscVM
[12] Le caractère onirique et nocturne permet aussi, pour le créateur de Thriller, de se rallier à la figure de Peter Pan.
[13] Cet attribut sera révélé à son paroxysme avec sa volonté de créer We are the world en 1985.
[14] Arjun Appadurai, Après le colonialisme : les conséquences culturelles de la globalisation, Payot, 2015 [2001], repris par Anne-Christine Trémon, « Que faire du couple local/global ? Pour une anthropologie pleinement processuelle », Anthropologie sociale, 20 (3), 2012, p. 229-361.
[15] En tant que danseuse aux inspirations ouest-africaines, je regarde d’un œil éclairé la gestuelle de MJ : lancé de jambe -rotation qui rappelle les « cinq temps » du sabar. Certaines marches ressemblent aussi aux marches d’approches inspirées d’animaux (que l’on retrouve avant les spectacles de lutte sénégalaise par exemple [Doignon, 2021])
[16] Sur l’idée de répétition et d’une dizaine de mouvements communs comme système d’acquisition des savoirs en danses africaine, Alphonse Tiérou a formalisé ce concept sous le terme de « Dooplé ».
[17] Je pense notamment au refrain de Soul Makossa de Manu Dibango.
[18] Cité par Clifford Geertz, Savoir Local Savoir Global. Les Lieux Du Savoir, Presses universitaires de France. Sociologie d’aujourd’hui, 2006, p. 124.
[19] Ibid, p. 149.
[20] Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Allia, 1936.
[21] Geneviève Delbos & Paul Jorion, La transmission des savoirs, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1984.
[22] Pierre-Emmanuel Sorignet, « La construction des identités sexuées et sexuelles au regard de la socialisation professionnelle : Le cas des danseurs contemporains », Sociologie de l’Art, 3 (OPuS 5), 2004, p. 9-34.
[23] Pierre-Emmanuel Sorignet, « Sortir d’un métier de vocation : le cas des danseurs contemporains », Sociétés contemporaines, 4 (56), 2004, p. 111.
[24] Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Minuit, 1980, p. 111
[25] Jean Lave & Etienne Wenger, op. cit.
[26] Geneviève Delbos & Paul Jorion, op. cit.
[27] Yann-Brice Dherbier, Michael Jackson, les images d’une vie, YB Editions, 2009, p. 122.
[28] Michael Peter est un des chorégraphes de Michael Jackson.
[29] Vincent Berry, « Les Guildes de joueurs dans l’univers de Dark Age of Camelot : apprentissages et transmissions de savoirs dans un monde virtuel », Revue française de pédagogie. (160), 2007, p. 75-86.
[30] Walter Benjamin, op. cit. p. 45.
[31] La compagnie travaille avec des poètes, comédiennes, danseuses et danseurs d’esthétiques indienne, africaine, contemporaine, etc.
[32] À l’occasion de stages annuels à Grenoble dans les années 2000.
[33] Le lock ou locking est une des techniques de danse hip-hop (de même que le popping ou le breakdance).
[34] Le skeeter rabbit et le fresno sont des pas de danse hip-hop. Le premier est issu du lock, le second du pop.
[35] Aurélie Doignon, op. cit., p. 175.
[36] Emmanuel Sorignet, op. cit.
[37] Un danseur qui imitait MJ à Beaubourg, Salif Gueye, a été repéré et participe désormais à des campagnes de publicité ou à des festivals à l’international.
[38] Avec en particulier le groupe Bordelais Tribal Jam, qui a joui d’une notoriété nationale à la fin des années 1990 / début des années 2000.
[39] Étienne Wenger, La théorie des communautés de pratique. Apprentissage, sens et identité, Les presses de l’université de Laval, 2005.
[40] Michel Henry, Voir l’invisible. Sur Kandinsky, François Bourin, 1988
[41] Gérôme Guibert, « La scène comme outil d’analyse en sociologie de la culture », L’Observatoire, 47 (1), 2016, p. 17-20.
[42] Roberta Shapiro , Isabelle Kauffmann, et Felicia Mc Carren. La danse hip-hop. Apprentissage, transmission, socialisation, Rapport pour la Mission du patrimoine ethnologique, Ministère de la Culture et de la Communication, 2002.
[43] Aurélie Doignon, « Sportivisation de la danse, artification du sport », L’ethnographie, (5-6), 2021, https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=807Revue
[44] Aujourd’hui, au printemps-été 2021, s’organisent à Dakar des soirées « Soul Train » dans l’esprit de l’émission culte. En observant des danseurs hip-hop au centre culturel Blaise Senghor à Dakar, le 18 mai 2021, ainsi que la récurrence des évènements (que j’observe au quotidien sur les réseaux sociaux) qui y ont lieu, je note un véritable engouement pour le style « debout » au Sénégal.
[45] Clifford Geertz, op. cit. p. 150
[46] Michel Henry, op. cit.
[47] J’ai moi-même souhaité posséder des chaussures et des vestes telles que celles que MJ arborait.
[48] Ibid, p. 182-186.
[49] Walter Benjamin, op. cit, p. 50.
[50] Yves Raibaud, « Les Musiques du monde à l’épreuve des études postcoloniales », Volume ! 6 (1-2), 2008, p. 6.
[51] SAPE : société des ambianceurs et des personnes élégantes, apparue dans les années 1970. Avec sa silhouette androgyne, on peut dire que MJ a de la « djatance » sur scène : sa chaussure claque… à l’instar des danseur·ses de claquettes ou de celles au talon ferré des sappeurs. Il respecte d’ailleurs la règle des trois couleurs régie par ces derniers.
[52] Daniel Schugurensky, « ”Vingt mille lieues sous les mers” : Les quatre défis de l’apprentissage informel », Revue française de pédagogie, (160), 2007, p. 13-27.
[53] Vincent Berry, op. cit.
[54] Catherine Bernié-Boissard et Valérie Arrault (dir.). Espaces de la culture, Politiques de l’art, L’Harmattan, 2000, p. 200-201.