Le mémorial de La’a Pou à Bangou, une société post-esclavagiste de l’Ouest-Cameroun

Samson Mengolo Mbel
Université de Buea-Cameroun

Abstract

This article analyzes the meanings associated with the production and transmission of cultural trauma in the locality of Bangou, a post-slavery chiefdom in West Cameroon. Considered a mediator, in the symbolic relationship that the traditional authorities of this locality are trying to build with their slave past, the La’a Pou memorial monument is the object of an official interpretation that victimizes the royal lineage, while the physical attributes of this structure and the project of reconciliation with African-Americans, inscribed in the current work of memory, make her feel guilty. This article analyzes, under the double prism of socio-political and cultural considerations, the balance of power between the traditional political establishment and part of its community, in a centralized society, where paradoxically, a “community”, challenging domination of traditional power over the captivity and the sale of their relatives, would have kidnapped in retaliation and fraudulently sold the members of the royal dynasty, in an alleged secret market located in the territory of the chiefdom, which has become for memorial practices, the eponymous site of this story. Morpho-stylistic observations of this memorial and a field survey carried out among members of the ruling class, have shown that this symbolic structure, beyond its institutional function of reconciliation between royal lineage and diasporic offspring, is above all, an instrument of symbolic power, exploited by the authority to restore its traditional legitimacy discredited by its presumed responsibility in the sale of its fellow citizens. The construction of an official narrative disguising reality, the construction of a monument whose symbolism contrasts with the official discourse and the project of reconciliation on the fringes of historical truth, participate in the development of this hypothesis.

Keywords: Cultural Memory, Cultural trauma, Post-slavery Society, Memorial, Royal Dynasty

Introduction

La mémorisation ou la patrimonialisation du passé de la traite et de l’esclavage en cours dans la région de l’Ouest-Cameroun depuis la fin de la première décade de l’année 2000 s’opère sous le prisme d’un paradoxe historique et moral, d’une autorité traditionnelle, esclavagiste hier par son ascendance et principal entrepreneur[1] mémoriel aujourd’hui artisan de la réconciliation. Au spectre du cannibalism witch[2], une métaphore traduisant la hantise d’un état de violence post-traumatique orchestré par l’autorité traditionnelle pendant la traite négrière ou le travail forcé, qui justifie du point de vue de Nicolas Argenti[3], le silence discursif des communautés dans la région des Grassfields[4], se superpose de manière contradictoire, le récit d’un kidnapping présumé des descendants de la lignée royale et leur vente sur un marché secret localisé sur le territoire de la chefferie de Bangou. Cette ambivalence traduit dans la localité de Bangou en particulier et de manière générale dans la région de l’Ouest-Cameroun, le dialogue asymétrique qui sous-tend le processus de mise en patrimoine de ce passé de façon globale et de réconciliation en particulier.

Constamment réactualisé à travers la recherche de la vérité à laquelle se livrent les Afro-descendants en quête de leurs origines, il en découle une antinomie mémorielle entre « […] the African mode of forgetting and diasporic attemps at memorilization[5] […] » qui fonde les entreprises patrimoniales ou mémorielles en cours dans la région de l’Ouest-Cameroun. Celle-ci dicte la lexicographie des médiateurs symboliques de ce passé comme cela est le cas d monument de La’a Pou où la grammaire mémorielle[6] du mémorial contraste insidieusement avec le récit officiel régulant sa communication.

Au-delà de l’identification d’une mémoire incarnée de l’esclavage comme un mode supplémentaire de communication du passé de la traite en dehors des discours, cet article questionne, non pas le silence, mais l’intentionnalité derrière le mode de communication  qui sous-tend l’édification d’un symbole de la mémoire culturelle. Elle tente de comprendre la divergente production de sens construite par un même entrepreneur culturel, entre savoirs et objet, deux variables complémentaires et indispensables dans la chaîne de production patrimoniale ou mémorielle[7].

L’objet ici, c’est-à-dire le mémorial de La’a Pou, fondement de toute signification, est un ensemble signifiant du passé de l’esclavage sur le mode iconique, c’est-à-dire fondée sur une ressemblance artistique au référent qu’est l’esclavage. Au regard du contentieux historique improbable qui sous-tend la construction d’un mémorial dégradant dans la chefferie d’une société centralisée, où la gestion foncière et le contrôle du territoire relèvent du pouvoir régalien du chef, ce mémorial prend les contours symboliques d’un champ, au sens d’une arène mémorielle où des stratégies et des tactiques patrimoniales ou mémorielles se déploient pour imposer une certaine violence symbolique en vue de réhabiliter le pouvoir traditionnel dont l’autorité est mise à mal par l’histoire de l’esclavage.

Ce champ conceptuel s’est opérationnalisé par un matériau provenant aussi bien des descriptions empiriques des structures monumentales du site de La’a Pou[8], que des catégories discursives issues des entretiens avec certaines personnalités, autorités politiques traditionnelles des chefferies de l’Ouest-Cameroun. Les descriptions des structures s’appuient sur une identification et une  caractérisation des caractères physiques et fonctionnels, en référence au répertoire morpho-culturel existant dans cette région. Ce répertoire s’appuie sur une étude de plus de dix mille objets décrits par Jean-Paul Notué[9]. Les catégories discursives issues du traitement des réponses obtenues des entretiens, codifiées en catégories centrales et sous-catégories, en fonction des thèmes abordés ayant porté entre autres, sur l’origine du projet de construction du mémorial, le choix du site, les raisons de la mémorisation etc., couplées par les traits morpho-stylistiques de ces représentations anthropomorphes, ont permis de formuler les hypothèses de ce travail. L’application de de tout ce dispositif au processus de mémorisation du passé de la traite sur le site de La’a Pou, a permis de constater que les pratiques mémorielles mises en scène et les discours auto-flagélateurs qui les accompagnent, constituent un prétexte mémoriel visant à re-légitimer l’autorité traditionnelle de nos jours, symboliquement fragilisée par la circulation dans la mémoire collective, de son rôle dans la vente de ses concitoyens. La  construction de cette structure architecturale de souveraineté sur le territoire de la chefferie, fondée sur une dichotomie entre savoirs et technique, la réconciliation à géométrie variable et uniquement avec la descendance diasporique américaine, constituent entre autres, la gamme d’images, de signes qui participent de cette re-construction de la légitimité du pouvoir traditionnel.

Deux principaux axes d’analyse permettent de lire cette chaîne de production sémiologique. Dans le premier axe,  nous décrivons les caractères morpho-stylistiques afin d’élaborer un modèle morpho-fonctionnel de ces représentations plastiques qui, comparé au répertoire technique local, a permis d’identifier les serviteurs du roi comme type morpho-fonctionnel et culturel, représenté sur le site de La’a Pou. Le second axe discute des fondements idéologiques qui sous-tendent la tactique patrimoniale ou mémorielle visant à opposer objet et savoir pour postuler à une réconciliation avec leur descendance diasporique.

Contestés par la symbolique de ses caractères morpho-stylistiques: les princes kidnappés à la’a pou

La décomposition des morphèmes constituant la grammaire  technique  du mémorial de La’a Pou, n’établit pas de correspondances entre les caractères techniques du mémorial et les princes kidnappés qu’ils sont censés rendre présents. Si les traits morphologiques de ces structures ne permettent pas d’élaborer un modèle attribuable à une catégorie morpho-fonctionnelle, certains se rapprochent néanmoins des serviteurs et protecteurs des habitats à l’Ouest-Cameroun. La corrélation de ces attributs physiques à la symbolique du chiffre quatre (nombre de représentations de la seconde structure) et leurs motifs décoratifs, nous ont permis de formuler plutôt  l’hypothèse d’une représentation plastique des serviteurs du roi[10].

Les représentations anthropomorphiques de la’a pou comme serviteurs du roi

Les observations morphologiques des différentes structures du site de La’a Pou, loin de symboliser le modèle iconique des princes kidnappés, représentent plutôt les serviteurs du roi, en dépit de l’absence d’un modèle morphologique établi. La liste constitutive des caractéristiques morphologiques, correspondant aux observations effectuées sur les structures de La’a Pou, se rapproche fortement des représentations anthropomorphes des gardiens et protecteurs de la résidence du fo[11], des notables, des lieux sacrés, des chefferies, de la communauté ou des protections individuelles contre des forces négatives. Associés indifféremment aux sculptures rituelles représentants ancêtres, esprits, guérisseurs, êtres plus ou moins mythiques et légendaires ou serviteurs du fo, ces représentations ont en commun d’être au service du roi et de la communauté. De cette catégorie sociale, les serviteurs du roi sont certainement les plus vulnérables, au regard des conditions de leurs recrutement, des fonctions qui sont les leurs dans l’architecture du pouvoir. Généralement orphelins faute de lignage, ils constituent la propriété du roi qui en dispose volontairement et sont par extension  et par adoption, la progéniture de celui-ci. Cette progéniture d’adoption épouse la distinction entre les notions de parenté et de filiation qui régulent les relations de parenté dans ces sociétés marquées par une reconfiguration humaine au gré de ces évènements historiques. Les esclavisés, membres d’une parenté non-biologique et relevant plutôt du système juridico-politique, si l’on s’en tient aux normes qui régulent par exemple l’esclavage coutumier dans cette région[12], font partie du patrimoine du chef et peuvent à ce titre être considérés comme des «princes» par filiation et non de sang.

Les cinq (05) représentations anthropomorphes constituant les deux structures (figure 1 ci-dessous), dont la seconde matérialise selon le chef de Bangou[13], des esclaves en pleurs, confortent cette hypothèse de la servitude auprès du roi, même si l’érosion de la patine sur les structures n’a pas permis de corroborer cette affirmation du chef. Qu’à cela ne tienne, on peut néanmoins observer les caractéristiques attribués aux serviteurs-protecteurs à l’Ouest-Cameroun, notamment, la force de leur regard, la fixité de leur attitude tendue et méditative parfois effrayante pour le novice, tels que décrits par Jean-Paul Notué[14].

Figure 1:Vue d’ensemble des représentations plastiques du mémorial de La’a Pou

Tiré de : Patrimonialisation et mémoire de l’esclavage entre les Hauts-plateaux de l’Ouest et le Littoral du Cameroun, (thèse de doctorat en instance de soutenance). Par  Samson Mengolo Mbel; prise de vue le: 23/04/2018. La reproduction de cette image relève en droit public camerounais, du domaine public artificiel, conformément à l’ordonnance numéro 74/2 du 6 juillet 1974, en son article 2[15].

L’analyse des différents caractères morphologiques du mémorial de La’a Pou ne renvoie à aucun type morphologique particulier dans la lexicographie technique et culturelle des Grassfields, où la représentation anthropomorphique dans l’univers artistique et technique, s’inspire essentiellement de la pyramide du pouvoir à l’Ouest-Cameroun au sommet duquel trônent par ordre de grandeur, le chef, la reine, les notables et les serviteurs. Toutefois, l’observation des sculptures des gardiens et des protecteurs dans cet environnement artistique, montre de façon disproportionnée, des proportions physiques importantes sur certaines parties de la représentation anthropomorphique. On peut probablement expliquer cette recherche des volumes  par l’idée populaire et victimisante que les esclavisés déportés étaient sélectionnés parmi les plus robustes physiquement. Cette idée réductrice, si on l’inscrit dans le contexte des thèses européocentristes de l’inégalité des races décrivant la race noire comme incapable à produire de la pensée, tend à légitimer et à propager la thèse d’une dépossession de l’Afrique de sa main d’œuvre la plus compétitive. Cette thèse, entre autres, justificatrice de son niveau de développement actuel, peut néanmoins questionner les méthodes de captivité de cette crème humaine, en termes de force physique, dans un environnement social où les colons n’étaient pas les plus nombreux et où les esclavagistes locaux ne disposaient pas toujours d’un équipement technique contraignant. D’ailleurs, une étude faite par Jean-Pierre Warnier[16] sur l’esclavage dans les Grassfields (Anglophone)[17] du Cameroun, montre que la violence était la méthode la moins utilisée pour la capture des esclavisés, même si la chaîne avec entrave entre les mains de l’esclavagiste de la figure 2 ci-dessous, peut laisser entrevoir le témoignage d’une certaine forme de violence.

Figure 2: Profils avant (à gauche) et arrière (à droite) de la représentation de l’esclavagiste

 
  

Tiré de : Patrimonialisation et mémoire de l’esclavage entre les Hauts-plateaux de l’Ouest et le Littoral du Cameroun, (thèse de doctorat en instance de soutenance), par  Samson Mengolo Mbel; prise de vue le: 23/04/2018. La reproduction de cette image relève en droit public camerounais, du domaine public artificiel, conformément à l’ordonnance numéro 74/2 du 6 juillet 1974, en son article 2.

Cette première structure individualisée, située à l’avant du monument, se distingue de la seconde composée de quatre structures, non seulement par cette chaîne, mais aussi par son menton barbu. En dépit des petites nuances techniques, cette structure montre, au même titre que les autres représentations plastiques, une architecture musculaire proéminente, que ce soit au niveau de la cage thoracique avec une ossature composée des muscles infra-nerveux et dorsaux que du versant pectoral.  Les bras et les épaules sont denses et charnus. Le ventre est toujours arrondi. Le front est bombé, la cavité sus-orbitaire ressortie comme on peut le voir sur les représentations de la structure 2, figure 3 ci-dessous. Tous ces détails physiques offrent au moins des perspectives de rapprochement avec les serviteurs du roi, à partir  des proportions saillantes observées sur certaines représentations des gardiens et des protecteurs identifiés par Jean-Paul Notué[18].

Figure 3 Vue de face de la représentation des serviteurs du roi sur le monument de La’a Pou

Tiré de : Patrimonialisation et mémoire de l’esclavage entre les Hauts-plateaux de l’Ouest et le Littoral du Cameroun, (thèse de doctorat en instance de soutenance), par  Samson Mengolo Mbel; prise de vue le: 23/04/2018. La reproduction de cette image relève en droit public camerounais, du domaine public artificiel, conformément à l’ordonnance numéro 74/2 du 6 juillet 1974, en son article 2.

Autant que les représentations de la structure 1, les quatre de la seconde structure, illustrant selon notre description morphologique, les serviteurs captifs au regard des liens d’attache unissant leurs deux bras sur leurs ceintures rénales et les entraves que l’on peut observer autour de leurs cous, (à l’exception de la quatrième représentation sur la figure 3 ci-dessus), présentent des volumes importants. Ceux-ci renvoient, comme nous l’avons déjà dit, à certaines formes caractéristiques des gardiens et des protecteurs, au milieu desquels s’individualisent les serviteurs du roi. L’identification de cette fonction est renforcée par la symbolique du chiffre 4, nombre total des représentations de la structure 2, qui suggère dans la cosmogonie locale, l’idée d’appartenance au chef correspond bien à la conception de l’esclave ou du serviteur, comme un bien patrimonial du chef.

La structure 2, constituée d’une représentation femelle complète un trio de représentations anthropomorphiques mâles. Leur nombre total traduit dans l’imaginaire symbolique de l’Ouest-Cameroun, « la totalité du pouvoir du fo[19] sur tous les actes de ses sujets et sur l’entendue du gun (chefferie). Ainsi les sièges à quatre pieds indiquent le rang royal de leur propriétaire »[20]. Comparativement aux gardiens et protecteurs combattants des esprits maléfiques dans l’univers mystique de l’Ouest-Cameroun, les serviteurs du roi, apparaissent comme ceux que l’autorité traditionnelle de Bangou a voulu représenter ou commémorer par le mémorial de La’a Pou. Ils peuvent être considérés comme propriété du sang royal, étant donné leur situation dans leur famille d’adoption. Chez les Bamiléké[21] du Cameroun, les «biens sans propriétaire[22]», au rang desquels se comptent les esclaves, appartiennent au roi. Les esclaves sont des citoyens sans lignage dans leur territoire d’asservissement où ils sont considérés comme des enfants du fo, parfois même après leur affranchissement au bout de 9 (neuf ans). Etant donné le caractère héréditaire de la condition servile, la procréation pour assurer une transmission de ce statut, devient une exigence qui légitime les représentations plastiques de La’a Pou, si l’on s’en tient à la symbolique des motifs décoratifs qui ornent ces artéfacts.

 

La fécondité, un médium par excellence de la transmission du statut servile

L’interprétation des différents types de décors apposés sur les cache-sexe de ces sculptures et sur la coiffure de la représentation femelle (deuxième à partir de la gauche, figure 3 ci-dessus), par rapport au répertoire symbolique local, tend à confirmer l’hypothèse de serviteurs du roi, élaborée par le rapprochement morphologique et de la symbolique du chiffre quatre. L’approche décorative des différentes représentations s’articule autour de la notion de fécondité. Elle se matérialise aussi bien par les techniques utilisées que les motifs qui y sont appliqués.

Les motifs décoratifs, réalisés par les techniques de l’incision et du traçage, ont été exécutés en utilisant la ligne comme motif de base. Cette ligne, présentée sous la forme de billons ou de sillons, montre des lignes courbes (voir les cache-sexes des deux premières représentations à partir de la droite sur la figure 3 ci-dessus). La ligne incisée permet d’avoir des lignes brisées (voir le cache-sexe de la structure 1, figure 2 ci-dessus), dont la superposition oblique laisse apparaître des motifs losangiques comme cela est le cas des cache-sexes des deux premières représentations de la figure 3, à partir de la gauche.

Remis dans leur contexte sémiotique de production, les losanges et les lignes brisées renvoient globalement au thème de la fécondité.  Dans l’imaginaire décoratif de l’Ouest-Cameroun, les losanges représentent les organes sexuels féminins ou la fécondité comme l’illustre leur présence sur le cache-sexe de la représentation femelle. Les lignes brisées quant à elles évoquent l’image collective des bébés[23], qui symbolisent dans la sphère représentationnelle animale et religieuse de l’Ouest-Cameroun le serpent et la couleuvre admis comme leurs totems. La notion de totem chez les Bamiléké incarne une double personne ou pi. C’est une alliance existante entre un être humain et une espèce animale ou végétale spécifique; la croyance en un animal parent, incarnation de l’homme dont il partage son rôle social et/ou de la société coutumière ou secrète à laquelle il s’attache[24]. Quoique l’interprétation du serpent comme motif soit parfois rendu difficile parce qu’utilisé comme trame du décor, simple support technique ou objet d’une diversification de figurations artistiques poussant à l’abstraction[25], le serpent est présenté dans la sphère du sacré à l’Ouest-Cameroun comme le totem des serviteurs du roi. Aussi avons-nous pris le parti de considérer les motifs  sur les représentations anthropomorphes du mémorial de La’a Pou comme symboles de ces serviteurs. Cette interprétation confortant la symbolique du chiffre quatre (4) et les proportions physiques des représentations plastiques du mémorial, est consolidée par la lecture politique que l’on peut faire la réconciliation engagée par l’autorité traditionnelle locale. Celle-ci conteste la thèse officielle d’un kidnapping des descendants de la chefferie vendus sur leur propre territoire, construite sur une base contradictoire aux principes qui régulent un pouvoir traditionnel fort.

La réconciliation, un paravent commode

Le contraste observé entre le discours officiel et les représentations plastiques du mémorial de La’a Pou, loin d’être un simple canular, semble s’inscrire dans une stratégie de légitimation du pouvoir traditionnel. Au regard de la difficulté à standardiser les critères qui fondent la légitimité ou plus globalement le pouvoir[26], l’ambivalente démarche de commémoration et de réconciliation opérée par le pouvoir traditionnel de Bangou, contrastant actes et discours, est interprétée ici comme une tactique politique inhérente à cette dynamique. Elle se matérialise aussi bien par l’invention d’un marché improbable et une réconciliation sélective.

La’a pou, un marché secret d’esclaves en question

En se fondant sur le rôle monitoire du monument, l’édification d’un symbole exprimant la faiblesse du système de sécurité traditionnelle dans une chefferie centralisée, paraît difficilement envisageable sur son territoire, en dépit de la raison officielle convoquée/invoquée par le chef de Bangou, justifiant le choix du site: « [ce qui fait que] si j’ai fait le site là-bas, parce que c’est dans le territoire de la chefferie, il y’a même des princes qu’on a volé pour vendre, vous voyez ? Puisque le commerce des esclaves ça été le commerce des grandes personnalités parmi lesquelles même les chefs, même les chefs »[27]. Sur la base de ce discours, on est donc fondé de se demander si un pouvoir aussi centralisé, peut s’autoflageller par l’érection d’un monument réducteur et culpabilisateur, dans un contexte historique où il est déjà accusé de cannibalisme?

Ce mémorial serait réducteur de l’influence ou de la puissance de l’institution traditionnelle, détentrice de tous les instruments de régulation du pouvoir, en ce sens qu’il symboliserait son incapacité à contrôler son territoire, laquelle aurait engendré non seulement la captivité de ses descendants/enfants, mais aussi leur vente sur un présumé marché secret sur son territoire. Le rappel culpabilisateur du mémorial en revanche, s’adosserait sur le rôle et la responsabilité qu’on prête à l’autorité traditionnelle dans l’histoire de la vente de ses propres concitoyens. Pourtant la notion de personnalité convoquée plus haut par notre interlocuteur, décrivant la nature de commerce, trahit paradoxalement cette implication des autorités traditionnelles, parce que les chefs auxquels il fait allusion ne pouvaient être esclavisés. Ils étaient donc logiquement des esclavagistes dont le rôle paradoxal à lui seul ne pouvait justifier l’édification du mémorial à La’a Pou. C’est par contre le sentiment de culpabilité et le désir de réconciliation qui fondent cette entreprise, comme le reconnaît à juste titre le chef de la localité de Bangou, justifiant son origine : « c’est créé à mon ère, c’est moi qui ai pris l’initiative de créer, en souvenir des ancêtres qu’on n’a pas vendu par ignorance ».

Cette reconnaissance du caractère volontaire de leur implication dans la vente par le chef de Bangou, non seulement remet complètement en question le récit officiel faisant de l’autorité traditionnelle la victime, et de certains marginaux de la communauté des bourreaux, mais aussi traduit clairement la responsabilité de l’autorité politique traditionnelle par l’évocation de la mémoire de leurs ancêtres à travers ces propos. Il apparaît donc clairement que les responsables de la  vente des serviteurs du roi tels que décrits sur les représentations plastiques de La’a Pou, sont les chefs eux-mêmes et leurs proches collaborateurs. Sur cette base, si le site de La’a Pou était un marché secret, sa paternité incombe sans doute au pouvoir traditionnel, seul habileté à exploiter le territoire de la chefferie.

Dans la région des Grasfields, la chefferie, observée comme un noyau constitue conceptuellement la structure centrale de l’occupation spatiale qui irradie le pouvoir de cette position de contrôle ou privilégiée. Organisée dans un dispositif théorique concentrique avec la chefferie au centre et les quartiers tout autour, la chefferie sur le plan architectural, est une mémoire culturelle institutionnelle administrée uniquement par le pouvoir traditionnel. Les lieux rituels, les espaces sacrés (abritant les rencontres entre l’homme et le divin), les lieux de pèlerinage, les stèles, les monuments érigés en la mémoire des chefs disparus, et de nos jours le musées, constituent les médiateurs symboliques de cette production mémorielle, traduction d’une vision du monde qui participe du renforcement et de la légitimation du pouvoir du chef, tout en réaffirmant le statut politique de l’architecture[28]. Introduire donc un mémorial destiné aux princes, devenu par la force institutionnelle un instrument du pouvoir dans ce contexte architectural, paraît tout à fait légitime et justifié dans l’hypothèse d’un récit historique cohérent, autant que l’expression d’un mode de pensée issu du système régnant. L’architecture dans la région des Grassfields apparaît donc comme, « un moyen de façonner une vision du monde, […] un symbole, l’incarnation d’une structure ou d’une situation donnée, mais aussi une métonymie, un modèle qui oriente activement les modes de pensée et les rapports sociaux»[29]. Par conséquent, cette organisation et cette cohérence architecturales tendent non seulement à relativiser ce savoir construit autour du mémorial soutenant la paradoxale thèse d’un kidnapping des princes et leur commercialisation sur un territoire contrôlé et sécurisé, mais surtout à réaffirmer la prééminence de la chefferie comme symbole de l’autorité dans la localité. Ce pouvoir peut donc se manifester de façon particulière dans le domaine patrimonial ou mémorial comme l’illustre la sélection et l’usage des symboles du passé de la traite dans la conception de l’idée de réconciliation.

Une réconciliation à géométrie variable

Le travail de mémoire envisagé dans la localité de Bangou à travers le mémorial de La’a Pou a pour principal objectif d’amorcer un processus de réconciliation avec les descendants des esclavisés. La notion de réconciliation est devenue un élément clé dans le travail de mémoire depuis la conférence mondiale sur le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance tenue à Durban en Afrique du Sud en 2001, où elle fut reconnue comme le but ultime de cette mémorisation[30]. La réconciliation sur laquelle les auteurs tardent à s’accorder sur le contenu sémantique, est fondée sur au moins trois composantes majeures pas toujours complémentaires, notamment, le rétablissement d’une relation de confiance entre les anciens belligérants, la recherche de la vérité en vue d’harmoniser des visions divergentes, ou alors le processus psychologique visant à changer d’identité[31].

Contrairement aux principes adoptés à Durban reconnaissant le travail de mémoire comme instrument de lutte contre l’injustice et de promotion de la réconciliation avec l’énonciation de la vérité historique comme fondement de cette réconciliation, le travail de mémoire initié dans la région de l’Ouest-Cameroun, repose essentiellement sur une sélection, une construction sociale des « valeurs » à promouvoir et à transmettre aux Afro-Américains. Ces valeurs qui ne reflètent pas toujours la vérité historique, s’inscrivent dans le projet mémoriel visant ici à disculper l’instance politique traditionnelle accusé de « cannibalisme sorcier ».

Dans le cas de Bangou en particulier et la région de l’Ouest-Cameroun en général, la réconciliation envisagée tente de reconstruire les liens de confiance symboliquement et historiquement éprouvées par le rôle contesté de l’autorité traditionnelle dans l’esclavagisation de ses concitoyens. La commémoration en guise de fondation à ce processus passe initialement donc par une demande de pardon conformément au projet élaboré par le chef de Bangou pour qui, « dans mon projet je pensais qu’on devait édifier le monument, aménager l’emplacement   de tel sorte que un jour, nous faisons d’abord un culte traditionnel où on va faire un sacrifice pour demander pardon à leur mémoire pour les avoir vendu »[32]. Cette approche du pardon semble conforme aux approches spirituelles de la réconciliation qui « plaident en faveur d’un processus de guérison collective basé sur la notion de pardon et la réhabilitation des victimes et des bourreaux »[33].

Le pardon ainsi envisagé met donc en scène, deux protagonistes, les descendants des  Afro-Américains qui, replacés dans le contexte de la traite, constituent les victimes de la descendance des princes présumés kidnappés et vendus sur le site de La’a Pou, indépendamment des bourreaux, pris dans cet article comme les autorités traditionnelles de la région de l’Ouest-Cameroun. La localisation secrète de La’a Pou, au moment où se déroulaient les opérations de traite, constitue le principal indicateur exploité par notre interlocuteur pour établir la différence entre les esclavisés transportés vers la côte atlantique pour être déportés et les captifs internes. Il affirme à ce sujet que : « Ici, nous avons deux sites. Sur le marché au village, on vendait une catégorie d’esclaves. Et à cet endroit [c’est-à-dire La’a Pou] on vendait ceux qu’on déportait, et ceux qu’on déportait ça se passait en cachette. On vendait en cachette. Et l’endroit était un peu caché ». L’idée de déportation développée par notre interlocuteur ici participe d’une hiérarchisation des esclavisés, les déportés constituant la cible privilégiée, au regard des enjeux mémoriels et des résolutions de Durban qui sous-tendent le processus de mise en patrimoine ou en mémoire de ce passé. On peut donc questionner cette attitude ambivalente de l’institution traditionnelle, silencieuse par rapport aux descendants locaux et proactifs pour ce qui est de la descendance diasporique mise à contribution dès 2007 avant l’institutionnalisation de la mémoire de l’esclavage à l’échelle nationale par un rituel de réconciliation entre l’association traditionnelle des chefs traditionnels de l’Ouest-Cameroun et un groupe d’Afro-descendants. Cette question est d’autant plus pertinente que la réconciliation envisagée s’appuie sur la croyance en une malédiction en guise de sanction comme le reconnait le chef de Bangou : « quand je suis arrivé, j’ai pensé que  tel que nous dans la tradition bamiléké on croit  aux esprits des ancêtres, que parfois certaines malchances est dû au fait que les gens qui sont partis en pleurant, et on n’a jamais rien fait pour demander les excuses en leur mémoire ». En dépit de l’introduction du christianisme et de l’islam, le culte des ancêtres constitue la base fondamentale de la religion dans la région autochtone des Grassfields au Cameroun dans une démarche où le crâne de l’ancêtre est conservé et reçoit des offrandes. De cette relation spirituelle aux ancêtres se sont construits des légendes/mythes relatifs à la divination, à la sorcellerie, à la maîtrise et à la manipulation du (puissance transcendante dynamique qui fonde les rites d’initiation, de fécondité et de fertilité) et à la malédiction du ndo[34] justificatrice de la demande de pardon à Bangou. Présenté comme une sanction divine pour punir les iniquités et les entorses à la justice, l’épouvantail du ndo imposerait donc un respect des normes, tout contrevenant à celles-ci s’exposant à cette malédiction. Comparant à titre d’exemple la traite et l’esclavage coutumier, relativement au ndo, le chef de Bamendjida affirme, parlant des Bamiléké :

nous les Bamiléké, on avait et on a peur du ndo. le ndo est une malchance qui frappe jusqu’à la onzième génération. On avait peur de donner un traitement inhumain à un homme comme toi et récolter une sanction divine. Vous comprenez ? Donc c’était ça. Donc ce que nous appelons traite négrière était très différente de ce que nous appelons esclavage local, parce que le blanc considérait le noir, pas comme un homme, c’était pour eux des animaux, vous comprenezEt on ne leur donnait pas un traitement inhumain. On avait peur de ce que nous appelons ici le ndo. On avait peur de donner un traitement inhumain à une personne et on attrape le ndo. Le ndo chez nous est une malédiction qui frappe jusqu’à la 11e génération[35] .

Il ressort des propos des deux interlocuteurs que le ndo joue le double rôle de purification et de prévention/sanction. Dans le premier cas, celui-ci apparaît comme moyen de pression justifiant la commémoration de la traite à Bangou, l’expiation par le ndo traduisant incontestablement la culpabilité. Dans le second cas, le ndo en tant que longue sanction intergénérationnelle servit de prétexte aux chefs traditionnels de l’Ouest-Cameroun pour dénier leur implication dans ce commerce aujourd’hui dévalorisant et contre-nature pour l’autorité traditionnelle à qui revient la charge de protéger ses concitoyens. Dans cette logique, la contrainte devant la faiblesse de l’équipement technique local par rapport aux occidentaux fut présentée aux Afro-descendants pendant cette cérémonie comme prétexte de leur participation indirecte. Abstraction faite du questionnement sur le niveau technique réel des occidentaux et leur nombre entre les XVe et XVIIe siècles par exemple, lesquels pouvaient difficilement vaincre les dispositifs sécuritaires que l’on prête aux sociétés centralisées, on peut par ailleurs interroger la raison d’être du ndo dans un contexte où la responsabilité des chefs ne peut être directement engagée. La contrainte militaire occidentale s’apparente plus à un subterfuge visant à blanchir l’image de l’institution traditionnelle dans une cérémonie au cours de laquelle les Afro-descendants voulaient comprendre pourquoi leurs grands-parents furent vendus par les leurs. De toute évidence dans cette logique, le processus de réconciliation engagée dans la région visait plus à restaurer l’image de l’autorité traditionnelle forcément écornée par une aussi grave accusation.

CONCLUSION : Questionner  la réconciliation et la validité du ndo à partir des victimes internes

Au terme de cette réflexion discutant de la production des sens de la mise en patrimoine ou mise en mémoire du passé de l’esclavage par un acteur institutionnel historiquement accusé d’avoir vendu ses concitoyens, il ressort qu’aussi bien le mémorial de La’a Pou, que le processus de réconciliation dont il est par ailleurs le symbole, ne sont que des instruments exploités par cet entrepreneur culturel pour substituer sa fonction de descendant d’esclavgiste à celle d’entrepreneur mémoriel. La stratégie consistant à contraster les caractéristiques plastiques du mémorial et le savoir qui les accompagne dans le but de se présenter aussi comme une victime, vise sans doute à distordre la vérité historique au service des enjeux mémoriels actuels. Ce travestissement de l’histoire vise selon toute vraisemblance à remettre en cause l’accusation de l’autorité traditionnelle comme « cannibaliste sorcier » connue des Afro-descendants, lesquels souhaitent comprendre les mobiles d’une telle attitude. Reconnaître ainsi et assumer une telle responsabilité en utilisant des subterfuges, participe à la fois de la re-légitimation du pouvoir traditionnel comme prescripteur et ordonnateur de l’ordre culturel et politique, donc interlocuteur légitime du processus de réconciliation, non pas comme ancien belligérant, mais comme pacificateur. Devant la reconnaissance explicite  ou implicite des chefs de leur responsabilité dans ce trafic humain, on peut interroger leur refus à intégrer les victimes internes dans cette démarche de réconciliation. Si les motivations économiques justifient entre autres la demande de pardon aux Afro-descendants, qu’en est-il de la validité du ndo par rapport aux torts perpétrés sur les familles des esclavisés non-déportés ? Connaissant les sanctions encourues, pourquoi ces autorités locales n’envisagent-elles pas que le sort actuel des populations soit lié à cet absence de pardon  à l’interieur? Quoiqu’il en soit, cette étudie montre en définitive la complexité contextuelle des études sur l’esclavage et la traite. Au-delà de la réconciliation et les demandes de pardon entre l’Occident et l’Afrique, il s’agit désormais de répondre à cette problématique sur le plan interne à l’Afrique, et particulièrement entre les chefs et leurs concitoyens.

                                                              

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Notes

[1]Johnn Michel, Devenir descendant d’esclave. Enquête sur les régimes mémoriels, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, « Res publica », 2015. Le terme entrepreneur, emprunté  à cet auteur, est utilisé ici pour désigner les acteurs politico-administratifs, ici au sens traditionnel impliquant les chefferies qui régulent le pouvoir administratif et politique dans les sociétés centralisées de l’Ouest-Cameroun

[2]Cette expression traduite en français par le cannibalisme sorcier, désigne une métaphore humaine, un phénomène invisible qui consiste pour les parents à manger leur progéniture, des enfants sans défense et résignés. Cette expression traduit la situation de violence post-traumatique qui caractérise les populations de la région des Grassfields, contraintes de garder le silence, du fait de ce traumatisme.

[3] Nicolas Argenti, “Remembering slavery, youth and masking in the Cameroon masking”, Social Anthropology, n° 14, 2006, p. 49-69, mis en ligne le 19 Juin 2007, consulté le 5/4/2021, URL:https:// onlinelibrary.wiley.com. doi.org/10.1111/j.1469-8676.2006.tb00022.

[4]La région des Grassfields couvre les Hauts-Plateaux de l’Ouest et du Nord-ouest rehaussés par
d’importants édifices volcaniques, comprenant des populations proches aussi bien par leur histoire
que par une organisation socio-politique centralisée autour du personnage emblématique d’un chef
appelé Fo ou Fon, et une parenté culturelle établie.

[5] Nicolas Argenti & Ute Roschenthaler, “Introduction: between Cameroon and Cuba: youth, slave trades and translocal memoryscapes”, Social Anthropology, 14, 2006, p. 33-47,  consulté le 5/4/2021, URL: https:// onlinelibrary.wiley.com. doi:10.1017/S096402820500193X, p.34.

[6] La notion de grammaire mémorielle est également empruntée à Johnn Michel. Elle considère le mémorial comme une matrice de sens, susceptible d’organiser des souvenirs destinés à être partagés en systèmes symboliques. Ceux-ci fondent non seulement les appartenances, mais inspirent les actions des sujets concernés, et en l’occurrence l’élite traditionnelle de Bangou ici.

[7] Jean Davallon, « Mémoire et patrimoine: pour une approche des régimes de patrimonialisation », dans Mémoire  et nouveaux patrimoines, sous la direction de Cécile Tardy & Vera Dodobei, Marseille, OpenEdition Press, 2015,  mis en ligne le 12 février 2015, généré le 25 mars 2017, http://books openedition.org/oep/41, Doi : 10.4000/books oep 411, p. 49-68

[8] Dans la littérature, La’a Pou s’écrit aussi La’a Pouh

[9] Jean-Paul Notue, La symbolique des Arts Bamiléké (Ouest-Cameroun): Approche anthropologique et historique, Thèse de Doctorat, Université de Paris I, 1984.

[10] Ibid, p. 334-344

[11] Désignation locale du chef

[12] L’esclavagisation dans le cadre de l’esclavage coutumier à l’Ouest-Cameroun s’appuie sur un code juridique coutumier. L’acquisition du statut d’esclave était déterminé par une procédure judiciaire basée sur la soumission d’un justiciable à un certain nombre de rites

[13] Extrait de l’entretien avec le chef de Bangou

[14] Jean-Paul Notue, op.cit.

[15] La typologisation du memorial de La’a Pou dans le domaine public artificiel au Cameroun s’inspire de la classification élaborée par Joseph Owona, Domanialité publique et expropriation pour cause d’utilité publique au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 18

[16] Jean-Pierre Warnier, « Traites sans raids au Cameroun », Cahiers d’Etudes africaines, n° 133, 1989, p. 5-32.

[17] La région des Grassfields telle que définie en note de bas de page dans l’introduction de cet article, fut divisée par l’administration coloniale en deux régions linguistiques colonisées l’une par la Grande Bretagne (actuelle région du Nord-Ouest) et l’autre par la France (Région de l’Ouest).

[18] Jean-Paul Notué, op. cit.

[19] Le fo c’est l’appellation locale du chef

[20] Jean-Paul Notue, op. cit., p. 493

[21] Les Bamilékés sont un groupe de populations qui occupent la région administrative de l’Ouest-Cameroun. Celles-ci revendiquent une origine commune. Elles se caractérisent par ailleurs par des référents socio-culturels, politiques et historiques similaires.

[22] L’expression est du chef de Bangou lors de l’entretien que nous avons eu avec lui.

[23] Léon Kamga, La’akam ou le guide initiatique au savoir être et au savoir vivre Bamiléké, Douala, Editions Cognito, collections « Retour à la source », 2008, p. 171.

[24] Sylvain Djache Nzefa, Les civilisations du Cameroun, Histoire, Arts, Architecture, sociétés traditionnelles, Nantes, Route des chefferies, 2012, p. 176.

[25] Jean-Paul Notue, op. cit.

[26] Claude Rivière, Introduction à l’Anthropologie, Paris, Hachette, 1999, p. 99.

[27]Extrait d’un entretien mené avec Jean-Marcel Tayou, chef de Bangou

[28] Dominique Malaquais, Architecture, pouvoir et dissidence au Cameroun, Yaoundé, Khartala et Presses de l’UCCAC, 2002.

[29] Ibid.,  p. 8

[30] Ibid.

[31] Valérie Rosoux, « Portée et limites du concept de réconciliation. Une histoire à terminer », Revues d’études contemporaines Est-Ouest, vol. 45, n°3-4, 2014, Consulté le 19/02/2021, https://www.cairn.info/revue-revue-d-etudes-contempraines-est-ouest-2014-3-pages-21-htm,  p.26.

[32] Extrait d’entretien avec le chef de Bangou

[33]Valérie Rosoux, art.cit.

[34]Jean-Paul Notué, « Le mégalithisme au Grassland (Cameroun occidental). État des connaissances, nouvelles découvertes et perspectives », Afrique: Archéologie & Arts, 5, 2007-2009, mis en ligne le 16 juillet 2015, consulté le 27 septembre 2019. URL:http://journals.openedition.org/aaa/843, p. 27-64.

[35] Extrait d’un entretien réalisé le 20/04/2016 avec TMCTBG.  32