La sexualité et ses usages dans la société haïtienne contemporaine : une chasse gardée des hommes

Jean Willy Belfleur

Universités Publiques en Région d’Haïti

Abstract

In this article we will consider posing critically and from an analytical approach the problem linked to the behavior and actions of the Haitian male in heterosexual relationships while attempting to show the consequences that this causes on sexual development. of both partners. The contemporary Haitian context is marked by a mythical sexuality, operating under the leadership of macho and sexism. As things currently stand, we see that there is a clear imbalance in heterosexual relationships where men control sexuality. Which in many cases creates disenchantment among women, thus facilitating a sexual reorientation and, in turn, a new female sexual identity. We will seek to understand why and how this new configuration of relationships operates. To do this, we will proceed through the analysis of social-cultural facts and testimonies collected for this purpose to try to identify a hermeneutic understanding which should lead us to avenues for an epistemology of contemporary Haitian sexuality. How can we explain, for example, the silence of female sexuality in Haiti? How can we understand this crisis of dissatisfaction in her? What can explain this instability and incontinence in heterosexual couple relationships today? What could be the basis of the endurance-macrophallique complex in our men? The answers to these questions will form the backdrop to this article.

Keywords: heterosexuality, virility, feminist, sologamy, autosexuality

 

Introduction

La pensée critique haïtienne, du point de vue des hommes, se révèle assez souvent muette à l’égard du patriarcat. Toutes les démarches critiques de l’intelligentsia haïtienne (entreprises par des hommes) partant de l’esclavage au néolibéralisme en passant par l’impérialisme s’expriment quasiment à travers un silence assourdissant sur les méfaits du patriarcat comme système établi aux dépens des femmes et tant d’autres « valeurs » dominantes de l’occident chrétien, telles que le machiste, l’inégalité et la « supériorité » de l’homme sur la femme. L’endoctrinement via la bible et les séquelles coloniales animalisantes ne sont pas sans conséquence sur le réflexe du devenir homme moderne en situation postcolonial. Toutefois, notre penchant pour la justice, l’équité et l’harmonie dans une société nous a incité à nous inscrire dans une démarche de décolonialité afin de contribuer modestement à promouvoir d’autres pensées alternatives étant donné que notre société subit encore de plein fouet le néocolonialisme galopant.  Ainsi, après lectures, recherches, échanges et réflexions sur la sexualité, nous avions été interpellé à écrire un essai[1] dans lequel nous avions abordé, d’une part le côté mythique de la sexualité en Haïti et la représentation faite de la femme haïtienne d’autre part dans la logique occidentalo-chrétienne.  Ce livre me servira d’un point d’appui certain dans l’élaboration de cet article qui s’inscrit dans la perspective de cette pensée critique dite décoloniale. Néanmoins, dans ce travail, il s’agira de mettre en phase surtout sur les effets de la domination masculine ou encore sur ce que nous appelons le masculinisme répressif institué par nos hommes. De surcroit, nous essayerons d’analyser les conséquences du rôle attribué aux femmes haïtiennes dans les couples hétérosexuels.  Cette étude révélant une sexualité muette, confinée et refoulée de ces femmes victimes du comportement machiste et sexiste des hommes vis-à-vis desquels elles développent une attitude répulsive et réfractaire pourrait être considérée comme étant des jalons posés pour des études approfondies. Cet état réfractaire entraîne un recours spectaculaire aux gadgets sexuels et favorise l’émergence d’un nouveau marché au sein de cette société, dont l’expansion ne laisse pas les hommes insensibles.

On a constaté qu’en dépit des discours dits d’émancipation tant chez les hommes que chez les femmes en Haïti, la sexualité reste au demeurant une chasse gardée des hommes qui se donnent le droit de réguler, de normer, de juger ou sanctionner les comportements sexuels des femmes et les expressions sexuelles du corps féminin. Comme s’il s’agissait d’une sexualité réglée sous la devise : « tout se fait par et pour le mâle ». En conséquence, très peu de femmes haïtiennes ont l’opportunité de vivre une sexualité libérée et épanouie. Beaucoup de femmes haïtiennes que nous côtoyons affirment ne pas connaitre un orgasme dans leur vie avec un partenaire mâle. Pourquoi ? Soit à cause d’un manque de savoir-faire, soit à cause d’un manque de communication au sein du couple ; ce qui donne lieu, en conséquence, à une gêne chez la partenaire féminine, subissant un malaise indicible et une frustration de soi constamment refoulée afin de se protéger de la fureur de son partenaire masculin qui n’accorde pas assez d’attention ni d’importance à ses désirs, ses fantasmes et ses besoins en amour.  A contrario, le mâle haïtien tend à réduire l’hétérosexualité à la simple expression de sa virilité laquelle se trouve arc-boutée autour d’une jouissance génito-centrée. Pour cela, toute une série de dispositifs est mise en place pour renforcer sa puissance masculine, même au détriment du plaisir féminin auquel est attribué une fonction réceptive et passive. Ce qui entraine ce que nous appelons un masculinisme répressif, comme étant un mode d’expression de la domination masculine dans la perspective bourdieusienne[2].

Ainsi, dans cette étude, nous cherchons à éclairer la position du problème tant sur le fond que sur la forme de cette domination masculine en Haïti tout en faisant ressortir ses conséquences « désastreuses » à la fois dans la vie sexuelle et individuelle de la femme haïtienne.  La domination masculine est le plus souvent abordée par les féministes haïtiens-nes surtout sur l’angle sociopolitique. Tandis qu’en matière d’hétérosexualité voire en homosexualité[3] il y a toujours un rapport de dominant et de dominé qui s’installe. La fonction de la femme ou du moins de celui qui joue le rôle de la femme est souvent subalternisée. Qu’est-ce qui peut expliciter l’attribution de ce rôle de soumission, de passivité voire du mutisme de la femme haïtienne en matière de sexualité ? D’où vient cette volonté de puissance et de domination de l’homme à l’égard de la femme ?  Est-ce dans le passé colonial, ou dans les traditions ancestrales ? La réponse ne saurait se trouver dans la sociologie haïtienne, si cette domination est extra-contemporaine. On voit des femmes « libérées » subissant l’autoritarisme du mâle dans un rapport de couple.  Ce qui nous amène à poser la question suivante : comment penser le souci de soi du sujet féminin qui s’en trouve paradoxalement assujetti sexuellement dans une société pourtant libre ? À cet effet, nous allons essayer d’apporter des tentatives de réponses à cette problématique à travers les lignes qui vont suivre.

 

Le mâle haïtien en tant que « la mesure de toute chose » en matière sexuelle           

Dans ce contexte global marqué par la mondialisation du « marché sexuel » sous les auspices d’une démocratisation de la jouissance sexuelle et de l’hypersexualisation féminine exacerbée par l’influence de la pornographie et de la télébaise, via l’internet, il convient de regarder l’hétérosexualité en Haïti à partir d’autres angles. Comme dans bien d’autres rapports, dans l’hétérosexualité, l’homme est celui qui détient l’autorité « légitime » de déterminer les règles de conduite, le savoir, le savoir-faire et le savoir-être convenables des partenaires féminins. Des règles à géométrie variable conçues selon le désir et la volonté des hommes. En effet, les hommes ont forgé ces règles pour asseoir ce qu’on pourrait appeler, « un masculinisme oppressif contre la gent féminine ». D’ailleurs, l’homme ne se contente pas de dicter ses lois phallocentrées, mais encore il veille à leur stricte application, sans trop se soucier des aspirations profondes du désir de la femme ainsi que de ses fantasmes érotiques les plus intimes. Un cas d’enquête rapporté par Florian Vörös est illustratif à ce sujet.[4] Le désir de jouir chez  la femme haïtienne, au sein d’un rapport hétérosexuel, est manifestement l’expression d’un désir masquée, torturée, censurée et réprimée sur toutes les formes. En ce sens le sujet féminin revêt la figure, dans l’imaginaire érotique haïtien contemporain, d’un être effacée et asservie à la seule jouissance de l’homme. En effet, seuls les désirs du jouir masculin semblent compter durant le coït. Ainsi, la femme en est réduite à n’être, d’après la belle formule du romancier congolais Sony Labou Tansi[5], que réceptive « des gifles intérieures » administrées par l’homme au cours des ébats sexuels. Tout ce que le mâle veut est bon, et mauvais, ce qu’il ne veut.

 

Le souci d’endurance et de performance : deux principales préoccupations des mâles haïtiens

Il convient de dire que, dans l’imaginaire sexuel de la grande majorité des hommes haïtiens, satisfaire une femme sexuellement semble être la praxie majeure de leur virilité. C’est pourquoi leur principale préoccupation se résume qu’à ce dispositif que je nommerai (provisoirement) le complexe d’enduranço-macrophallique, lequel implique deux composantes :   la capacité d’avoir et de maintenir une érection et faire durer le rapport sexuel jusqu’à l’épuisement total. Il est vrai que ces deux performances peuvent être peu ou prou d’une grande importance lors du coït, mais se focaliser exclusivement sur ces deux principes pourrait s’avérer négatif pour des ébats sexuels pleinement réussis, c’est-à-dire des rapports allant de la tension excitative à l’instant réfractaire en passant par la pénétration et le déchargement dans l’orifice vaginal ou anal (s’il s’agissait d’une analie[6]).  Pourtant, en réalité, la durée moyenne de pénétration d’un rapport sexuel varie entre 10 et 20 minutes pour beaucoup de spécialistes, néanmoins toutes les dernières études les plus récentes s’accordent sur l’idée qu’en moyenne un rapport sexuel idéal dure de 7 à 15 minutes de pénétration. Même là encore, on admet unanimement qu’entre 3 et 7 minutes, la durée d’un rapport est considérée comme suffisante, car le divertissement sexuel est loin d’être réductible à la seule pénétration, qui en est une toute petite partie, un moment, qui n’est même pas indispensable pour la satisfaction mutuelle des deux partenaires.  Comme évoqué dans le troisième chapitre de mon livre[7], c’est un leurre de croire qu’il faut un gros phallus pour se satisfaire et satisfaire sa partenaire. De la même manière qu’il est illusoire de croire qu’il faut passer un temps fou à faire l’amour pour bénéficier et donner du plaisir. Comme l’a souligné le médecin sexologue libanais, Gilbert Bou Jaoudé : « pas besoin donc de courir un marathon pour donner ou prendre du plaisir. Et surtout, tout dépend de la place que l’on accorde à la pénétration dans la sexualité ».  Cependant, pour  « aider les friands d’endurance » qui mettent la pénétration au centre de leur intérêt sexuel, le médecin-sexologue[8] a prodigué six conseils  pour les aider à retarder l’éjaculation en vue de maximiser leur plaisir et celui de la partenaire féminine. Avant d’entamer un rapport sexuel et pendant l’acte, le spécialiste invite aux comportements suivants :

  • S’assurer d’avoir une vessie complètement vide ou à l’inverse, remplie afin que la vessie puisse provoquer une tension au niveau des muscles du périnée ;
  • Pénétrer avec douceur et lenteur au début du rapport. Cette première pénétration doit être très progressive, très lente, comme si vous savouriez chaque millimètre de la pénétration pour faire monter doucement l’excitation sexuelle. Ce qui va permettre au pénis, et en particulier au gland de se familiariser au changement de température, de pression et même de lubrification,
  • Exploiter les propriétés des lubrifiants. Le lubrifiant apporte une couche grasse à l’intérieur du vagin et sur le gland, ce qui diminue les sensations de frottements, diminue l’intensité de l’excitation physique et donc réduire quelque peu la sensibilité du pénis.
  • Muscler votre périnée. Il s’agit d’un petit exercice[9] à réaliser lorsqu’on urine, afin de bien identifier les sphincters des muscles du périnée. En effet, ce sont à peu près les mêmes muscles qui sont responsables de l’éjaculation. Donc apprendre à les relâcher ou les contracter peut avoir un effet sur le contrôle de l’éjaculation.
  • Éviter le thé, le café, le soda, certains piments et certaines épices. En effet, ces aliments sont connus pour être des irritants de la zone sexuelle, génitale. Bien sûr, il ne s’agit pas d’arrêter complètement ces aliments, mais de les diminuer le plus possible.
  • Pratiquer du sport. Les deux sports les plus intéressants pour apprendre à maitriser l’éjaculation sont le yoga et le Pilates. Ce sont des sports qui permettent d’avoir un très bon tonus musculaire au niveau du bas du ventre et qui sont donc intéressants aussi d’un point de vue sexuel.

Il faut dire que ces conseils venant d’un médecin-sexologue semblent jouir d’une crédibilité et d’une validité universelle, découlant des recherches scientifiques.  Néanmoins, s’agissant de la sexualité dans la culture haïtienne, nous allons devoir évoquer d’autres outils et procédés utilisés par les hommes pour tenter de résoudre le même « problème » d’endurance et de la taille des pénis jugée trop petite pour être apte à faire suffisamment souffrir les femmes. En effet, dans l’imaginaire érotique de l’homme haïtien, une femme qui pleure de douleurs durant la pénétration, est forcément une femme qui jouit en se soumettant à la toute-puissance du phallus. Il s’agit de la mise en évidence de la conception phallocentrée de la sexualité haïtienne.

Tout d’abord, commençons avec cette affaire d’endurance au lit comme étant l’une des facettes du phallocentrisme. En Haïti, la méthode qui prévaut c’est surtout celle de « l’anesthésique topique » et l’option de comprimé. Pour résoudre ponctuellement le problème d’éjaculation précoce, nos hommes inventent des produits « thérapeutiques » à base d’écorces, des racines, des graines et des feuilles de plantes[10] naturelles (pour la plupart aromatiques)  trempées dans du clairin local et aboutit à des boissons connues sous des noms divers que l’on dit être des boissons aphrodisiaques qui, non seulement provoquent l’appétit sexuel, mais encore assurent une « endurance sexuelle extraordinaire », tels que : le bwakochon, le zodevan, le lyannbande, l’alkonyen, le safran, le rachekoupoul, le chire-pantalèt, le jouklijou, le kanel, etc.[11] On utilise aussi des comprimés pharmaceutiques autres que le viagra qui est l’un des plus anciens médicaments popularisés, de nos jours. Il y a toute une panoplie de nouveaux médicaments à base du citrate de sildénafil qu’on mobilise dans la course à la performance sexuelle. Parmi lesquels, nous pouvons citer : l’Anafranil, le Campé-King, Ti chine, l’Elevex, l’Erix, le Sexteen, le Bandil 100, le Duron, etc. Il faut souligner, par-dessus tout, que les deux « médicaments » les plus populaires, les plus connus et les plus accessibles depuis au moins ces trois dernières décennies sont les « fameux produits miracles » qu’on croyait à tort être des produits locaux.  Ces produits sont plutôt d’origine chinoise et sont dénommés en langue vernaculaire : sòspwa et grennpwa[12] encre appelé wòch (sauce de haricot en français), la « piedra china », pierre de Chine, une espèce de pierre pâteuse de couleur marron assimilée à la « purée de pois » à cause de leur ressemblance chromatique. Suivant ses utilisateurs, on peut comparer ses effets à une forme de dopage : cela correspond en effet à la technique de désensibilisation conseillée par la gynécologue Sheila Sedicias[13] qui anesthésie le gland.  Après la piedra china, c’est le Stud 100 (en spray ou en pommade) qui est très connu et il est utilisé fréquemment en Haïti par les gens qui peuvent se procurer des produits plus couteux. On utilise aussi des préservatifs contenant la substance anesthésiante chimique comme le « long love » et le « trojan ». Là encore, ce n’est pas pour la petite bourse. Les composés naturels et locaux occupent la première place en termes d’utilisation massive.

Ensuite pour grossir ou allonger les verges, les hommes haïtiens ne manquent pas de potion locale, prétextant que les femmes exigent toujours plus pour satisfaire leur avidité macrophallique. Ils utilisent :  1) le fameux « l’huile de couleuvre » qui est extraite d’un servent et se vend en petit flacon à travers les rues ; 2) le « bavé bœuf » et 3) la graisse de cacaos afin d’augmenter la taille de leur pénis. Mais, aussi faut-il ajouter à ces trois produits trois autres instruments, pour le moins, controversés[14] qui font partie de la gamme de matériaux du genre dans la culture sexuelle des Haïtiens : sapatann, poliskouche, bootlèg (pénis en plastique en bois et en métal), sont conçus pour la souffrance (et) ou le plaisir des femmes. Car, en dépit des dommages pelviens que ces pratiques ont provoqués, certaines femmes confessent avoir pris du plaisir dans l’usage de ces instruments artisanaux. Dans cet article, nous nous contentons d’évoquer uniquement ces « produits haïtiens »[15], car ils feront l’objet d’une autre étude. Il faut souligner qu’il s’agit là d’un échantillon : la liste est loin d’être exhaustive. Il convient d’admettre qu’en Haïti nous subissons la prédominance d’une sexualité mythifiée. C’est à partir de ce constat que nous avons entrepris le projet d’écrire un livre. Dans cet ouvrage pionnier, nous avons tenté de déconstruire ces mythes à l’aide des outils scientifiques, philosophiques afin d’apporter notre modeste contribution dans les luttes féministes haïtiennes, à partir de ce prisme : déconstruire ces formes de masculinités toxiques, sexistes et répressives en promouvant d’autres formes de masculinités proféministes en guise d’alternative à la masculinité dominante. Il s’agit d’un essai qui dénonce, qui conteste, qui éclaire tout en prenant à bras-le-corps la cause des femmes en la mettant sur le tapis pour être débattue en toute objectivité. Mais aussi en prônant la déconflictualisation de l’hétérosexualité pour le bien-être de toutes et tous. En d’autres termes, nous entendons dire aussi qu’il faut que les partenaires hétérosexuels s’efforcent (notamment les féministes et proféministes) de se démarquer des théories féministes issues du mouvement de libération des femmes des années 1970 suivant lesquelles la sexualité est conçue et considérée comme un espace de conflictualité, (entre les deux sexes) tel que l’a souligné Vörös en dénonçant cette binarité caractérisée de la sexualité des occidentaux qui fonctionne sous l’emprise des idéologies sexistes […] Elles révèlent notamment l’emprise d’idéologies sexistes qui présentent les hommes comme des êtres naturellement programmés pour dominer. À partir des années 1980, des enquêtes sociologiques sur les masculinités décrivent, sur la base d’observation et d’entretien, comment les hommes tendent à vivre leur sexualité comme un terrain d’expression naturel de leur virilité[16]. » Notre travail s’inscrit dans cette perspective critique allant à l’encontre de cette tendance décrite par Vörös suivant laquelle la sexualité est vue comme un terrain de domination masculine[17] sur les femmes conçues comme des êtres naturellement voués à la soumission.

 

L’ambivalence du mâle haïtien en hétérosexualité

Il est révélé qu’en amour certains hommes haïtiens font montre d’une tendance à imposer des exigences pour le moins ambivalentes à l’égard des femmes haïtiennes qui, elles-mêmes, doivent être à la fois aptes et habiles même sans avoir vécu d’expérience antérieure ou presque. Or l’habileté est par nature le fruit de l’acquisition d’expériences vécues. Cela dit, en principe, ces hommes devraient vouloir soit des femmes inexpérimentées et non habiles, soit des femmes très expérimentées et habiles. Qu’est-ce qu’il faut entendre par l’habileté en amour ?  Être habile c’est se connaitre en matière de sexualité, maitriser le savoir-faire du jouir et du faire jouir. Or, ce « savoir » et ce savoir-faire ne sont pas forcément innés. Donc, il faut l’acquérir à partir de l’une de ces deux manières suivantes : par apprentissage classique ou par une autre forme d’apprentissage informel, l’acquisition personnelle dans la vie pratique. Le premier n’existe pas, il n’y a pas lieu de parler d’éducation sexuelle en Haïti. Du niveau fondamental à l’université, en passant par l’école secondaire, les jeunes haïtiens et haïtiennes ne bénéficient pas d’un cours d’éducation sexuelle ou d’un cours de « savoir-faire en amour », comment voulez-vous qu’on ait tout naturellement maitrisé toutes les positions sexuelles traditionnelles, modernes et tout « l’art de faire l’amour » sans avoir cultivé adéquatement cet « art » ?  C’est ce qui nous fait dire qu’en matière de sexualité haïtienne, l’homme haïtien semble vouloir paradoxalement une chose et son contraire à la fois. Par exemple, ils cherchent des femmes, très bonnes au lit, mais sans expériences antérieures au lit ou presque pas. C’est un souhait quasiment impossible sachant que tout comme l’appétit vient en mangeant, l’habileté dans toute chose s’acquiert en pratiquant et en ayant vécu suffisamment d’expérience. Les meilleurs joueurs de football s’entrainent assidûment pour être efficaces sur le terrain. À mon sens, l’habileté ne s’apprend pas, mais elle s’acquiert au fil des ans par une somme d’expériences importantes. Pourtant la réputation sociale des femmes, en matière de sexualité, est jugée, évaluée et classée à l’aune de l’expérience. Comme si, plus qu’une femme est expérimentée, elle sera moins fréquentable. Pour illustrer ces propos, il nous parait pertinent d’évoquer un extrait de l’analyse que nous avons faite dans notre livre, sur le classement effectué par un compositeur haïtien du groupe « zenglen » (dénommé Nickenson Prud’homme), dans les années 2000 en dressant une typologie de vagin en cinq catégories comparées aux cinq continents, cette chanson intitulée : « la géographie de la femme ». « Fanm tankou 5 kontinan ».  (La femme est comme les cinq continents, en français). Cette musique à succès reste encore d’actualité. À notre connaissance, aucune critique allant dans ce sens-là n’a été faite de cette musique d’une créativité littéraire indiscutable, mais sexiste et machiste à la fois. À peu près une génération plus tard, elle continue à être savourée tant par les hommes que par les femmes d’Haïti. Elle devient quasiment une classique dans l’industrie musicale haïtienne.

En voici l’extrait :

Chaque femme est un continent. Il ne s’agit pas de les comparer suivant leur beauté tant extérieure qu’intérieure, mais plutôt sexuellement.  Même en célébrant trente ans de mariage, on peut ne pas savoir avec quel type de femme dont on a affaire. Pour connaitre à quelle typologie appartient sa femme, il faut évaluer la profondeur de son sexe. Car, elles sont toutes aussi belles sans être dans le même état. Il y a des femmes qui sont comme l’Afrique, c’est-à-dire : vierges et inexplorées ; d’autres sont comme l’Amérique : mi- vierge, mi- explorées ; d’autres encore, comparées à l’Europe : ravagées, mais pleines de charmes ; tandis que, la quatrième catégorie, comparée à l’Asie, ces femmes sont profondes et mystérieuses ; tandis que la dernière comparée à l’Océanie, elle est pire que toutes les quatre autres, car elle regroupe des femmes qui ont subi toutes les guerres, telles que : la guerre de Cent Ans, la guerre des cacos (en Haïti), la première et deuxième guerre mondiale, la guerre d’Iran et d’Iraq, la guerre des Malouines, etc.

 La chanson se conclut par cette remarque : ce dernier type de « continent » n’est pas habitable. Tout le monde en parle, personne n’y va. Ce discours extrêmement misogyne nous paraît dangereux, dans la mesure où il fait une représentation ayant comme toile de fond un déferlement de violence (ainsi que l’évoque la métaphore de la guerre). En effet, les vagins de ces femmes haïtiennes sont considérés comme des champs de guerre ravagés par les armes puissantes des mâles : le phallus.

Étonnamment, cette musique machiste et sexiste a été l’une des plus célèbres dans le répertoire du groupe. Il faut comprendre que ce jugement et cette classification se basent sur la profondeur et l’étendue du diamètre de la cavité vaginale des femmes haïtiennes. Pour ce compositeur-machiste, la valeur ou la qualité d’une femme s’évalue à l’aune de la dimension de son sexe. C’est ce qu’il nomme « l’état d’une femme ». Tandis que les garçons sont inclassables. Il n’y a pas de géographie pour l’homme pourvu que ce soit l’homme, lui-même, « maitre de toute vérité » qui détermine les critères de classification et de valorisation.

Ensuite, nous avons décelé un autre fait psychosociologique préjudiciable aux jeunes femmes haïtiennes qu’il faut signaler notamment dans le milieu universitaire haïtien qui n’est pas sans conséquence dans le processus d’épanouissement et de libération sexuelle des Haïtiennes. Il s’agit pour nos hommes[18] (haïtiens) d’entrainer certaines filles dans une dynamique d’émancipation sexuelle et de les larguer par la suite. Pourquoi les abandonnent-ils en chemin après les avoir introduites ou initiées dans des pratiques libertines ou même dans certains « secte » ou cercle libertin ? Comment peut-on nommer un tel fait ? Nous le représentons provisoirement comme un fait psychosocioaffectif parce qu’il a la potentialité de casser l’élan émancipateur des femmes en les portant à une forme de méfiance susceptible de les transformer en des masculinophobes et des marginales sociales. Ces femmes qui étaient jadis des « émancipées », des « libertines » se retrouvent, après quelques années, en difficulté certaine de trouver un homme dans leur catégorie sociale pour fonder un foyer et avoir des enfants. Tandis que les hommes qui étaient leurs compagnons, amants, partenaires ou boyfriends choisissent leurs femmes à partir d’autres couches sociales souvent plus modestes, moins instruites et moins libérées sexuellement. Comment faut-il comprendre un tel état d’esprit dans ce contexte ?

 

Le recours à la sologamie, à l’homosexualité : conséquence d’agissement masculin

Cette situation de fait pousse ces jeunes femmes à s’initier à l’autosexualité avant d’aboutir à l’homosexualité ou toute autre tendance du registre LGBTQ+. Cette autosexualité constitue, à son tour, un nouvel espace de mise en question de soi et de subjectivation pour ces femmes déçues à cause de la dislocation de leur sociabilité antérieure. Elles sont forcées, en conséquence, à se redéfinir à partir d’un nouveau lieu comme sujet ayant la responsabilité dans un contexte d’individualisation du rapport à la sexualité de s’identifier à partir d’autres communautés de valeurs ou en s’inscrivant dans d’autres schèmes de pensée, pour la plupart plus conservateurs que d’autres. Ce recours à l’autosexualisation en passant par la romanstubation – (Cet étape traduit le moment où la personne commence à écrire pour elle-même de belles paroles romantiques, à se dédicacer des poèmes, des chansons d’amour, par exemple) – peut être considéré comme des pas certains vers la sologamie, au cas où cette femme ne trouve pas un encadrement adéquat dans son entourage. La définition de l’autosexualisation ne doit pas être confondue à la masturbation, mais doit être entendue dans le sens des propos de Florian Vörös en écrivant : « parler d’autosexualité plutôt que de masturbation permet de se référer à un ensemble de gestes d’intensification du plaisir au-delà de la seule stimulation des organes génitaux. On peut aussi utiliser ce terme pour décrire l’importance culturelle croissante prise par le retour réflexif sur soi, dans un contexte d’individualisation du rapport à la sexualité[19] ». L’autosexualité dans cette seconde acception, en tant que nouvel espace d’élaboration de soi, émerge en lien avec la domestication d’un certain nombre de technologies sexuelles. Les femmes ont notamment développé cet espace intime à travers l’appropriation du vibromasseur, de la littérature érotique et des manuels d’épanouissement sexuel.  Il s’agit là, pour ainsi dire, d’un virage de réorientation sexuelle afin de se doter d’une nouvelle identification sexuelle, car heureusement pour ces femmes « utilisées et abandonnées », comme l’a souligné la philosophe lesbienne, Sara Ahmed, l’identification sexuelle est toujours un processus en train de se faire. Elle a écrit, nous citons :

« S’identifier n’a en effet, rien d’évident ni d’anodin ; c’est une action de soi sur soi à travers laquelle on donne forme et visibilité à un ensemble d’attirances, d’attachements et de pratiques. Pour désigner le processus par lequel les corps s’orientent les uns par rapport aux autres, dans des environnements organisés par des normes et des hiérarchies de sexualité, de genre, de race et de classe. [20]» Dès lors, l’identification peut donc aussi se penser comme un bricolage d’expériences à partir des ressources culturelles dont dispose une personne dans un contexte donné.

Néanmoins, ce recours palliatif ne résout pas le problème. C’est-à-dire, cette nouvelle identification n’efface pas ipso facto l’ancienne identité. Au contraire, dans certain cas, il l’aggrave. En effet, le « poids social » que cela comporte est tellement lourd à porter par ces femmes que certaines d’entre elles connaissent des troubles psychoaffectifs quasiment irréversibles : de l’amaigrissement à la psychose paranoïaque en passant par la dépression qui, dans bien des cas, aboutit au suicide[21]. Elles deviennent ainsi des ratés, qui font « carrière en amour » en passant de main en main sans jamais parvenir à fonder un foyer, mais bien au contraire vivent sans mari et sans enfants durant toute leur vie. Prenons par exemple le cas suivant. Il y a 18 ans, Jolibois B. côtoyait[22] une jeune femme de 24 ans, ravissante, joyeuse et ambitieuse ; elle caressait l’idée d’avoir une famille et des enfants. À l’heure actuelle, elle a 42 ans, diplômée, elle travaille pourtant, demeure sans mari et sans enfants.  Or, dans le cadre de nos entrevus, nous avons rencontré pas moins d’une dizaine d’hommes qui témoignent qu’elle était successivement leur amante durant cette période de sa vie. Ce qui confirme unanimement les témoignages de Jolibois. Pourquoi tous ces hommes/amants la quittent-ils ? Nous n’en savons rien pour l’instant. Mais une chose dont nous sommes certains, c’est qu’à chaque jour passant, la possibilité de vivre en couple et d’enfanter s’amoindrit progressivement pour elle, car si une femme peut être aimée à tout âge, elle ne peut pas enfanter durant toute sa vie. Comment trouver une alternative réparatrice à ces femmes qui « sautent » d’amour en amour jusqu’au désamour ? Cet épiphénomène montre, une fois de plus, que dans la culture sexuelle des Haïtiens l’idée selon laquelle l’homme est censé destiner à dominer et que la femme est conditionnée « naturellement » à la soumission sexuelle, est dominante à tous les niveaux de stratification de la société. Car, même dans les rapports entre des gens instruits, la tendance n’a pas changé, les femmes continuent à faire les frais de toutes les aventures sexuelles. Cela vaut aussi pour les cercles libertins, qui ne contribuent pas à l’épanouissement sexuel et à la réussite des « libertines » sur le plan sociopolitique, mais a contrario, les abandonnent à elles seules. Il s’agit là d’un constat qui n’est pas trop évident à première vue, mais le niveau d’inégalité qui règne entre les deux sexes en Haïti fragilise sérieusement la réussite et le bien-être d’une libertine. Il nous parait qu’après avoir été libertine en Haïti l’avenir de la vie sentimentale d’une femme reste hypothécaire. Tandis qu’à l’inverse, cela peut être même un facteur de réussite pour l’homme dans sa vie conjugale et sociale. En effet, nous pensons que s’entrainer dans des aventures libertines pour une jeune femme haïtienne se révèle un risque majeur suivant les témoignages dont nous disposons.

 

Une sexualité victimaire

À force d’être contrôlées, réprimées, censurées dans leur vie sexuelle, les femmes (noires) haïtiennes deviennent, pour la plupart timides, réservées, cloitrées et introverties dans l’expression de leurs désirs. Contraintes au silence, elles vivent une sexualité muette voire meurtrie, en ne pouvant ni s’exprimer, ni laisser libre cours à l’expression de leur corps de femmes désirant. Ce faisant, le plus souvent, elles sont poussées à vivre dans le refoulement de leurs désirs et besoins sexuels. Car toute tentative de s’exprimer sur leurs ressentis, leurs envies ou du moins de laisser parler leur corps, est sujette à des accusations de toutes sortes.  Par exemple, une femme qui aurait déclaré qu’elle a envie de faire l’amour est exposée à l’étiquette de « femme chaude » voire de prostituée. Pour se prémunir de cette dictature phallique qui s’exerce sur elles, certaines d’entre elles recourent au lesbianisme ou à une double vie. Du fait que beaucoup trop de maris répudient leur épouse sur la base de simple incompréhension, de simples gestes et comportements, souvent expressions d’un désir sexuel libéré.

 

Conséquences d’une sexualité muette et confinée

Celles qui ne sont pas jetées tout bonnement au “rancart”, ayant subi assez de préjugés, de discours machistes, sexistes déshumanisants, et ne pouvant plus continuer à subir cette sexualité masculine « égocentrique, ont recouru ordinairement à d’autres alternatives.  1) Une première catégorie de femmes cherche à fréquenter des jeunes de la dernière génération[23] qu’elles trouvent plus libérés, plus ouverts sur les divertissements sexuels, ce qui entraine de l’infidélité – pris dans le sens moral du terme – à l’égard de leur partenaire principal surtout pour celles qui vivaient déjà en couple.  2) Une deuxième catégorie de femmes se larguent dans les bras d’autres femmes et deviennent au fur et à mesure des bisexuelles ou des homosexuelles, surtout si elles ont déjà au moins un enfant. 3) Une troisième catégorie recourt aux deux premiers moyens :  ces femmes souhaitent assouvir leurs désirs, s’épanouir sexuellement et de goûter à un peu de bonheur et d’être soi. Elles deviennent donc des viveuses. 4) L’usage des gadgets sexuels, une toute dernière catégorie qui, n’était-ce que pour rester digne, en gardant leur réputation intacte au regard de leur partenaire et au regard de la société en général, préfèrent se procurer des sex-toys pour compenser le manque de leur conjoint. Avec ces instruments électroniques, elles se sont prises en charge tout en rééduquant leur corps vers une nouvelle forme de sexualité.  Il s’agit, pour ainsi dire, d’un recourt à une approche d’une nouvelle herméneutique érotique d’un sujet conscient de son état d’échec sentimental après avoir procédé à une auto-évaluation.  Ce qui crée de nouveau besoins féminins et de nouveaux défis masculins.

 

Un nouveau marché s’installe pour répondre à certains nouveaux besoins féminins

En effet, de nos jours, en Haïti, la vente des jouets sexuels devient monnaie courante. Sur les statuts des jeunes femmes qui ont 20 à 40 ans, il est courant de voir poster sur les réseaux sociaux ces gadgets avec des messages spécifiques. Par exemple, dernièrement, en faisant mes courses, j’ai rencontré une jeune étudiante qui m’a offert ses marchandises sexuelles sans aucune hésitation. « J’ai des trucs à vous offrir, monsieur ». Quoi, lui demandé-je ? Sex-toys, monsieur, m’a-t-elle répondu fièrement. Je lui ai dit que je ne suis pas en mesure d’acheter pour le moment. Elle m’a donné ses coordonnées (téléphoniques) afin de commander au moment opportun. Jusque-là, je croyais qu’elle tentait de me jouer un tour, avant de constater qu’elle postait systématiquement ses marchandises sur tous ses comptes des réseaux sociaux. Néanmoins, ce marché émergeant semble causer de plus en plus de soucis à certains garçons haïtiens qui craignent d’être « supplantés » à l’aide d’un tel marché si florissant.  Ce souci des mâles peut avoir plusieurs motifs dont l’un est la peur que leurs conjointes ne découvrent pas autre chose par le biais de ces gadgets. Est-ce qu’ils ne sont pas addictifs, ces jouets, m’a interrogé un homme dans la cinquantaine. Au fond de sa pensée, j’ai deviné qu’il avait envie de me demander si l’usage de ces objets sexuels ne pourront pas lui causer des préjudices. En clair, sa question est : en utilisant ses instruments sexuels, sa femme sera-elle toujours intéressée à recevoir sa verge ?

Peut-on légitimement craindre d’être évincé par des gadgets électroniques ? Le sexe masculin, seul coq dans sa basse-cour doit-il se préoccuper d’être détrôné dans son royaume ? La question reste à savoir si une femme peut trouver en un sextoy autant que ce que l’homme peut lui donner, voire plus ? La réponse à cette dernière question parait évidente pour nous :  en tant qu’un simple objet, un instrument d’une utilité très limitée ne pourrait remplacer un mari-humain-aimant. D’autant plus que l’amour en général et la jouissance sexuelle en particulier ne réside pas seulement dans le strict plaisir sexuel. Donc, il y a des désirs et besoins féminins qui ne pourront pas être satisfaits par ces gadgets. Les femmes comme les hommes ont besoin d’attention, d’affection, de tendresse, d’appréciation et de caresses diverses pour bien jouir. Il me semble qu’à ce niveau-là, le mari-humain est inégalable. Ainsi, on conviendra que l’homme aura toujours sa place, son « utilité » dans un couple hétérosexuel en dépit de l’usage de la technologie sexuelle.

 

En guise de Conclusion

La crise de l’hétérosexualité entravant l’épanouissement des couples liés aux agissements des mâles haïtiens se prenant comme des bourreaux des corps ; le souci d’endurance et de performance comme étant leur principale préoccupation, leur ambivalence affichée, le recours ou le repli des femmes à l’homosexualité, à l’autosexualité, la conscience victimaire déclic d’une sexualité muette et confinée sont, entre autres, autant de freins au développement normal et à  l’épanouissement de la vie amoureuse. Tout ceci résulte des mythes, tabous et paradoxes entourant la vie sexuelle.  En l’état actuel des choses, nous avons constaté que beaucoup de problèmes liés au système patriarcat empêchent un vrai épanouissement sexuel des femmes haïtiennes. Par exemple, trop d’inégalités entre les deux sexes dans les couples hétérosexuels. En conséquence, il est nécessaire que les hommes prennent conscience de cet état de fait et consentissent des efforts importants à ce sujet en vue d’améliorer le rôle que joue la femme dans les couples. Trop souvent des femmes (haïtiennes) crient au scandale par rapport aux comportements irrespectueux et discriminatoires des hommes. Nous pensons qu’il est dans l’intérêt des deux sexes que les hommes s’efforcent d’améliorer leur culture sexuelle, mais aussi de construire un discours respectueux à l’égard de la femme et de sa sexualité. L’homme haïtien a besoin d’accorder plus d’attention aux haïtiennes, de chercher à mieux comprendre la sexualité féminine afin d’améliorer le bien-être des partenaires hétérosexuels et d’éviter la détérioration des relations sentimentales. Une nouvelle représentation sexuelle est nécessaire pour faire face aux nouveaux défis, comme : la satisfaction de leur partenaire, l’angoisse d’endurance, l’incapacité d’amener les femmes à l’orgasme. Bref, l’assurance de leur invincibilité face aux gadgets électroniques. Cet article n’a nullement la prétention de tout dire. Cette thématique reste à la fois complexe et délicate en matière de recherche scientifique. De ce point de vue, nous pensons que des cours d’éducation sexuelle seraient importants à l’école secondaire en Haïti pour déblayer le terrain et faciliter la voie à la recherche.  Toutefois, nous espérons qu’à travers cette esquisse de travail d’analyse et de recherche, nous avons pu jeter une certaine base pour des études en profondeur sur les problèmes de l’hétérosexualité en Haïti et de dégager des pistes de recherche devant conduire à mieux cerner ce champ pour le moins inexploré.

 

[1]. Jean Willy Belfleur, De l’hétérosexualité en Haïti : mythes, tabous et paradoxes – Enjeux éthiques, Éditions Pédagogie Nouvelle. S.A, Haïti, 2024.

[2]. « Si le rapport sexuel apparait comme un rapport social de domination, c’est qu’il est construit à travers le principe de division fondamentale entre le masculin actif, et le féminin, passif et que ce principe crée, organise, exprime et dirige le désir masculin comme désir de possession, comme domination érotisée et le désir féminin comme désir de domination masculine, comme désir de subordination érotisée, ou même à la limite, reconnaissance érotisée de la domination ». BOURDIEU Pierre, La domination masculine, Paris, Éditions du Seuil, 2002, p..37

[3]. Il faut dire qu’en homosexualité entre deux partenaires de sexe féminin, il n’est pas rare de constater que l’un joue le rôle du mâle dominant sur l’autre qui se soumet à son « mari-lesbien » comme dans les rapports entre hétérosexuels. Il y a des femmes qui sont mêmes plus machistes, plus virils et sexistes que des hommes en Haïti.

[4]. Lors d’un entretien réalisé dans le cadre de son enquête sur les fantasmes et les masculinités, il rapporte les propos d’un de ces interviewés du nom de Julien qui lui répond à une question au sujet de la domination masculine dans la pornographie qui lui a lâché ceci en guise de justification : « c’est dans l’ordre de la nature : naturellement, l’homme est un peu dominateur, la fille est réceptive. En principe, la fille fait la jolie, et c’est le mec qui vient la prendre. »

[5]. Cf. à Sony Labou Tansi, La Vie et demie, Paris, Seuil, 1979.

[6]. Cette notion est créée pour nommer le sexe anal, il est utilisé pour la première fois dans ce livre : Jean-Willy Belfleur, De l’hétérosexualité en Haïti : mythes, tabous et paradoxes – Enjeux éthiques, Port-au-Prince, Éditions pédagogie nouvelles. S.A. 2024, p. 113. Ce néologisme renvoie au même signifié que le terme « sodomie » dans la culture occidentale, tiré d’un récit biblique.

[7] Ibid., p. 100- 114.

[8]. https://www.ifop.com/publication/cinq-minutes-douche-comprise-les-hommes-et-lejaculation-precoce-comment-jouer-les-prolongations/ 

Consulté le 22 mars 2024.

[9]. Nous avons voulu transcrire les conseils du médecin Bou Jaoudé ici de préférence que d’autres, parce qu’ils nous paraissent apparemment tellement pratiques et peu connus dans notre milieu.  Mais, il faut dire qu’il y a d’autres exercices ou techniques (préconisées par Dr Sheila Sedicias) qui sont plus courants, peut-être plus vulgarisés aussi desquels nous ne voulons pas faire abstraction tout en ne les développant pas pour l’instant. Car, ce n’est pas déterminant pour nous dans le contexte cette contribution. Toutefois, nous évoquerons quelques autres techniques, dont celles de Kegel qui est une technique connue. En voici d’autres qui ont la vertu de faire durer le plaisir : la technique “Start-stop” [même remarque sur le guillemet], la technique de compression, la technique de désensibilisation, la pratique des exercices de Kegel, l’utilisation d’anesthésiques topiques et l’utilisation de médicaments.

[10]. Elles sont entre autres : le Canel, l’ail, l’anni, le safran, le roux, gingembre, le grenadia, le pistache, la noix, etc.

[11]. Il s’agit du « made in Haïti » Products, écrit en créole haïtien.  Cette liste est loin d’être exhaustive.

[12].  Ces deux produits sont remarquables. Ils ont un lien quasiment indissociable, car la « sauce de pois » le pois (la piedra) fondu dans un liquide destiné au badigeonnage du gland pour l’anesthésier afin de diminuer son hypersensibilité en activité sexuelle.  Ce liquide serait fait de l’huile minérale, de café et de parfum. Ce sont des produits qui sont transités en République dominicaine pour être commercialisés sur tout le territoire haïtien suivant un article d’investigation publié en 2019 par Pierre Michel Jean et Milo Milfort sur cette « potion magique, surnommée » la fierté du mal haïtien ». Suivre ce lien : https://www.enquetaction.com/post/s%C3%B2spwa-la-fiert%C3%A9-du-m%C3%A2le-ha%C3%AFtien-en-flacon .

[13]https://www.tuasaude.com/fr/comment-controler-l-ejaculation-precoce/ consulté le 25 mars 2024.

[14]. https://lenouvelliste.com/article/158616/sapatann-polis-kouche-bootleg-petit-guide-de-pratiques-sexuelles-a-jacmel, consulté le 26 mars 2024.

[15]. Grès kakawo, bave bèf, lwil koulèv, (en créole haïtien) 3 produits de fabrication artisanale d’Haïti.

[16]. Florian Vörös, Op. cit., P. 15-16.

[17]. Suivant une définition de Manon Garcia, « la domination masculine est le nom que l’on donne communément à la relation entre le groupe social des hommes et le groupe social des femmes dans la société – ou bien à une action – cette domination masculine par des actions de domination dont une des formes extrêmes est la violence domestique ».  GARCIA Manon, on ne nait pas soumise, on le devient, Paris. Éditions Flammarion, 2021, page 32. Cette définition correspond à celle, de manière plus précise et plus spécifiquement sexuelle, qu’a développée le sociologue français, Pierre Bourdieu, quand il a écrit : « une sociologie de l’acte sexuel ferait apparaitre que, comme c’est toujours le cas dans une relation de domination, les pratiques et les représentations des deux sexes ne sont nullement symétriques.  Pierre BOURDIEU, La domination masculine, Paris, Éditions du Seuil, 2002, p.  36.

[18]. Il faut dire qu’en parlant des hommes haïtiens on a un petit peu extrapolé sachant que la société n’étant pas homogène les hommes sont loin d’être constituée en un bloc monolithique. En effet, cela veut dire qu’en réalité, nous n’avons ni la prétention, ni l’illusion de mettre tout le monde dans le même panier, mais plutôt de faire ressortir que ce que nous décrivons concerne bien évidemment la mentalité dominante de la grande majorité des mâles Haïtiens.  Par exemple, nous devons admettre que très probablement la classe bourgeoise constituée fondamentalement des “mulâtres” et des compradors résidant dans le pays depuis le début du siècle dernier a ses propres valeurs. Car, Haïti, étant ??? de fait, une société d’apartheid qui ne dit pas son nom, il n’y a pas de mixité sociale, du coup la relation d’interculturalité demeure, pour le moins, dérisoire. D’ailleurs, il est de notoriété publique que ces gens-là se marient entre eux ou avec d’autres « multinationaux » ou encore avec des étrangers tout simplement. Cet enfermement de classe nous empêche de « percer » le mystère de leur sexualité. Néanmoins, nous pouvons nous faire une idée de leur conception sur les Haïtiennes par le biais de quelques éléments de cette classe qui évoluent dans le secteur musical ou cinématographique haïtien où ils expriment les mêmes verbiages discriminatoires, machistes et sexistes.

[19]. Ibid., 89

[20].  Ibid.

[21] Bien qu’il faut reconnaitre que dans le contexte des femmes de chez nous, le suicide est une option très peu envisageable.

[22]. Jolibois, nom d’emprunt d’un universitaire qui était, à l’époque, étudiant à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Port-au-Prince qui m’a raconté ce récit et quelques autres aventures intéressantes dans le cadre de mes entretiens. Il m’a confié qu’il était un courtisant de cette demoiselle que nous nommons Suzette C.

[23]. La génération des bredjenn.

 

Bibliographie

 

  • BARMAK Sarah, Jouir. Enquête de l’orgasme féminin, zones, Paris, 2020.
  • BELFLEUR Jean Willy, De l’hétérosexualité en Haïti : mythes, tabous et paradoxes. Enjeux éthiques, Port-au-Prince, Éditions Pédagogie nouvelles. S.A., 2024.
  • BOURDIEU Pierre, La domination masculine, Paris, Éditions du Seuil, 2002.
  • GARCIA Manon, on ne nait pas soumise, on le devient, Paris. Éditions Flammarion, 2021.
  • POMMIER Gérard, que veut dire « faire » l’amour ? Paris, Éditions Flammarion, 2013.
  • VÖRÖS Florian, Désirer comme un homme. Enquête sur les fantasmes et les masculinités. Paris, Éditions La Découverte, 2020.