Compte-rendu de Buata B. Malela, La Pop musique urbaine francophone. Image de soi, sujet pop et mélancolie,
préface de Matthieu Letourneux, Paris, éditions du CERF, « Cerf Patrimoine », 2020, 212 p.
Gérald Désert
Université des Antilles
Les trois chapitres qui composent cet ouvrage, à savoir ― L’image de soi dans la culture médiatique, Le sujet pop urbaine et la mélancolie et Vers une réappropriation de la pop urbaine francophone ? précédés des prolégomènes du Professeur Matthieu Letourneux et d’un avant-propos de l’auteur ― invitent à questionner la part de marginalité de la pop musique urbaine francophone à partir des prismes de la culture populaire, médiatique, de l’ethos de l’artiste et de son image en tant que vecteur de sa crédibilité. Cette interrogation vise à mieux redéfinir sa singularité dans l’environnement des musiques populaires. Matthieu Letourneux souligne le peu d’intérêt portée à la chanson dans le panorama de la culture occidentale, il n’en demeure pas moins qu’il y voit formellement une analogie mutagénétique entre l’opéra (art lyrique) et la poésie ― où cette dernière a dû « se réinventer totalement sous la concurrence du lyrisme musical » ― et les chanteurs de café-concerts, de music-halls (hérités du XIXème siècle) et le développement de la musique enregistrée (1950-1970) qui débouche inéluctablement sur une musique pop mondialisée voire globalisée chargée en puissance émotive incarnant une certaine forme de lyrisme. Buata Malela dans cet essai à la croisée de la sociologie de la littérature et de l’analyse esthétique, examine minutieusement, au travers d’un échantillon d’artistes représentatifs du milieu de la musique populaire urbaine francophone et de leurs productions iconotextuelles, le point nodal de ce qui constitue la spécificité de l’artiste de la pop musique urbaine francophone, en retraçant la trajectoire de l’artiste, les univers sociaux et artistiques dans lesquels ils évoluent.
Dans les deux premiers chapitres, respectivement intitulés L’image de soi dans la culture médiatique et Le sujet pop urbaine et la mélancolie, Buata Malela, après avoir excipé de l’origine de la notion d’image de soi, établit un corrélat avec la conception de l’éthos chez Dominique Maingueneau en démontrant que les dimensions catégorielles (statut discursif de l’artiste), expérientielles (monde éthique incorporé et stéréotypique, machisme), idéologique (féminisme, individualisme, panafricanisme) interagissent quant à la représentation que l’on peut avoir de l’artiste pop urbaine. Afin de déterminer comment s’édifie l’image de l’artiste pop urbaine, Buata Malela fait l’inventaire des artistes de pop urbaine tels qu’Aya Nakamura, Christine And The Queens, Eddy de Pretto, Vitaa, Dadju, Gims, Shay, Kendji Girac, Ridsac, Amel Bent, M. Pokora, Stromae… par une analyse interne des chansons, des clips vidéos, des pochettes, pour entendre comment se construit l’iconotexte de l’artiste pop urbaine dans le contexte médiatique des sociétés occidentales dites postmodernes ou encore « liquides » à la lumière de Zygmunt Bauman. Son constat est que l’éthos est varié et peut passer par le statut discursif de l’artiste impliqué (féminisme, critique du virilisme, panafricanisme…) ou moins impliqué (humaniste, humanitaire, authentique et simple, mélancolique), mais surtout constitué par l’individualisme, élément qui se retrouve dans l’image de l’artiste pop rumba-reggae en tant qu’héritage de la musique pop urbaine. Cette dernière prémisse, incarnée par des artistes comme Fally Ipupa, Baloji et Tiken Jah Fakoly et analysée par Buata Malela dans le dernier chapitre intitulé Vers une réappropriation de la pop urbaine francophone ? constitue le paradigme nécessaire à la jonction esthétique de la pop urbaine, comme représentation préexistante en fonction de la culture et de la scène énonciative.
Il va de soi que cet objet d’étude débouche sur des perspectives nouvelles dans le domaine de l’esthétique de la musique et de sa production ainsi que de sa représentation puisqu’il est question de clarifier et d’encourager l’émergence d’une nouvelle taxinomie dans le cadre labile et implexe de la « société liquide », postmoderne que nous offre l’espace culturel francophone.