Contourner les catastrophes, le défi chaophone de Frankétienne

Christophe Premat 
Université de Stockholm (Suède)

Abstract

With the alignment of opinion and thought around the fear of climate change, one wonders whether literature is not being given a role in documenting or even projecting a world caught up in physical constraints. This impoverishment of imaginary reinforces the feeling of green-washing with a risk of reification; there is thus a need to explore the outlines of a decolonial ecology. In Haiti, marked by memories of a successful revolution with the installation of the world’s first black republic, the socio-historical violence caused by colonialism and dictatorship has accentuated the succession of natural disasters like the Earthquake in 2010. This is why a certain generation of French-speaking writers such as Frankétienne have proposed the canons of a spiralist aesthetic that finds in language a vitalist poetics with the promotion of a chaophony that can bypass the repetition of catastrophes and thwart the traps of discourse. This article presents Frankétienne’s chaophony and connects this poetic ambition to this spiralist aesthetic that renews the framework of decoloniality.

Keywords: catastrophe, decoloniality, chaophony, Frankétienne, spiralism             

 

L’écologie décoloniale peut adopter la réflexion sur les esthétiques et poétiques différentes dans les marges du monde que l’écriture littéraire peut appréhender à sa manière. Dans cette logique, l’écriture du chaos dont se réclame Frankétienne envisage de contourner toutes catastrophes – les violences politique et symbolique – contraires à la spirale de la vie. En effet, dans une série d’émissions qui lui ont été consacrées par France Culture en 2014, l’artiste et écrivain Frankétienne se présentait comme un survivant de la misère, de la dictature et même du terrible tremblement de terre du 12 janvier 2010 à Haïti[1]. Dans l’écriture et plus généralement l’art de Frankétienne, il y a cette volonté de saisir cette énergie qui se concrétise dans les productions d’art. Frankétienne est véritablement un « artiste multimodal »[2] passant de l’écriture à la peinture, au théâtre et à la musique pour exprimer ce souffle universel.[3] Nous aurions avec Frankétienne une sorte de « survivance des lucioles » au sens où l’entendait Georges Didi-Huberman avec des petites lumières de la vie qui viennent parsemer l’œuvre de Frankétienne. « Les survivances, elles, ne concernent que l’immanence du temps historique : elles n’ont aucune valeur rédemptrice. Et quant à leur valeur révélatrice, elle n’est jamais que lacunaire, en lambeaux : symptomale, pour tout dire »[4]. Écrivain, homme de culture (il a même été ministre éphémère de la Culture en 1988 sous l’autorité du Président Leslie Manigat), peintre, Frankétienne est un artiste haïtien à part entière, connu pour l’esthétique originale qu’il a inspirée et que l’on nomme « spiraliste » même si lui-même se méfie des suffixes en -isme[5]. Le spiralisme est un mouvement littéraire fondé à Haïti et représenté par trois écrivains, René Philoctète (1932-1995), Jean-Claude Fignolé (1942-2017) et Frankétienne (né en 1936). Frankétienne avait pour sa part revendiqué le « manifeste » original du mouvement avec la publication d’Ultravocal en 1972[6]. En effet, la spirale renvoie au mouvement chaotique de la vie que l’on peut suivre par la physique et la poésie. Dans ses entretiens, Frankétienne est revenu à de nombreuses reprises sur sa compréhension de l’énergie physique fondée sur l’interconnexion entre les êtres[7].

Dans cette perspective, la chaophonie est la transcription poétique du mouvement permanent de destruction et de création que l’on trouve dans la vie. Kaiama Glover rapportait le fait que l’œuvre de Frankétienne fût en résonance avec le Traité du Tout-Monde d’Édouard Glissant[8], mais il semble qu’il puise un style très original dans Chaophonie pour montrer comment contourner les catastrophes pour réintégrer le mouvement de la vie[9]. C’est souvent par déni du chaos que les êtres humains ignorent leurs propres potentialités et de ce point de vue, l’œuvre de Frankétienne a une proximité avec celle du philosophe Cornelius Castoriadis faisant aussi du chaos l’une des idées fortes de sa philosophie[10]. Dans cette optique, le manifeste chaophone de Frankétienne considère l’humain non pas comme un donné ontologique, mais plutôt comme une praxis sociale en perpétuelle transformation[11]. L’être humain, en prenant conscience du chaos, se libère de ses différents masques pour se mettre dans une condition de création et surmonter tous les défis. Frankétienne a d’ailleurs lui-même résumé cet état d’esprit dans la citation suivante qu’il a mise en peinture : « s’il arrive que tu tombes, apprends vite à chevaucher ta chute. Que ta chute devienne ton cheval pour continuer le voyage ! »[12].

La chaophonie ou la percussion du monde

Avant d’entrer dans la signification profonde de la chaophonie, il importe de revenir sur l’histoire d’Haïti qui a été la première République noire au monde et qui a conquis fièrement son indépendance en 1804. Haïti fut le premier pays à réenchanter les idées affirmées par la Révolution française et qui ont progressivement été oubliées, la déclaration d’indépendance s’achève d’ailleurs sur une promesse absolue de liberté[13]. Certes, Haïti a été le lieu de toutes les atrocités coloniales (déforestation, hyperproductivisme, séismes, cyclones, catastrophes naturelles, dette colossale imposée par la France, dictatures sanglantes). Cela étant, il faut prendre garde à ne pas noircir le tableau pour ne pas faire d’Haïti un pays éternellement victimaire alors qu’il y a une mémoire de résistances et de luttes antiesclavagistes précieuses pour les mouvements environnementaux[14]. Les révoltes marronnes ont été une brèche dans le système colonial, elles ont manifesté un désir d’autonomie et d’émancipation sociale[15]. Comme l’écrivait Édouard Glissant, « la terre matrice des pays antillais, Haïti. Qui n’en finit pas d’acquitter l’audace qu’elle eut de concevoir et de faire lever la première nation nègre du monde de la colonisation »[16].

Frankétienne a fréquemment commenté sa biographie et son attachement à l’île en rappelant le fait qu’il n’est jamais sorti d’Haïti pendant 51 ans[17]. Il a été constamment dans l’opposition au régime Duvalier et a été inquiété à de maintes reprises, mais n’a jamais cédé à la tentation de l’exil. En réalité, la chaophonie est un néologisme qui lie deux mots, le chaos et la voix (phonê), jouant avec la notion de cacophonie que l’on trouve dans l’écrit de Frankétienne avec « l’horreur cacophonique d’une horloge disloquée »[18]. Dans la cacophonie, l’invasion du bruit assourdissant rend impossibles l’écoute et le dialogue tandis que la chaophonie se fonde sur un dévoilement de la performance de la parole sur fond de vacarme du monde[19]. La chaophonie est l’étape qui suit la schizophonie dans l’imaginaire de Frankétienne, les deux notions renvoyant aux limites des sonorités qui imprègnent son œuvre avec l’accumulation des allitérations et des assonances. La schizophonie rappelle l’approche schizoanalytique de Deleuze et de Guattari consistant à explorer les signes de « l’économie libidinale » en investissant la nature ambivalente des éléments[20] tandis que la chaophonie est cette nouvelle symphonie du monde qu’il s’agit d’orchestrer dans la parole poétique en puisant dans un nouveau rythme proche de ce qu’écrit Édouard Glissant : « La symphonie et, tout aussi vivaces, les dysphonies que génère en nous le multilinguisme, cette passion nouvelle de nos voix et de nos rythmes les plus secrets »[21]. De ce point de vue, la chaophonie est la transcription de ce qu’Édouard Glissant nomme le « Chaos-monde » : « J’appelle Chaos-monde le choc actuel de tant de cultures qui s’embrasent, se repoussent, disparaissent, subsistent pourtant, s’endorment ou se transforment, lentement ou à vitesse foudroyante : ces éclats, ces éclatements dont nous n’avons pas commencé de saisir le principe ni l’économie et dont nous ne pouvons pas prévoir l’emportement »[22]. La chaophonie est une pensée de paradoxes qui plonge dans le choc des mots[23], mais nous souhaiterions risquer une autre interprétation à la création de ce néologisme. En effet, dans chaophonie s’entend également le mot de francophonie qui est cette recherche de conciliation entre le créole qui lui vient de l’oral et le français, langue que Frankétienne a appris par l’écrit. « Parce que dans mon milieu, je n’entends pas le français. Donc c’est ce qui fait qu’une fois que je m’installe dans une œuvre francophone, francophonique, je suis déjà dans le champ de l’écriture qui est un artifice »[24]. L’adjectif « francophonique » montre en effet la résonance du contact entre le créole et le français ; pour Frankétienne, la francophonie n’est pas une idéologie liée aux variétés de français, elle est avant tout habitée par le métissage le créole et le français. Le mot « francophonie » renvoyant aux solidarités culturelles autour de la langue française a surtout été définie comme telle par Léopold Sédar Senghor et Habib Bourguiba au moment des années 1960[25]. Si dans leur esprit, il s’agissait de s’approprier la langue française comme une des langues héritées dans ces pays anciennement colonisés, le français n’a pas la même histoire à Haïti où il a été présent de manière plus ancienne sans se limiter à une simple emprise postcoloniale. En outre, Senghor avait souligné cet aspect dans son texte-manifeste sur la francophonie publié dans la revue Esprit en 1962 : « mon propos était de montrer comment, au contact des réalités ‘coloniales’, c’est-à-dire des civilisations ultramarines, l’humanisme français s’était enrichi, s’approfondissant en s’élargissant, pour intégrer les valeurs de ces civilisations »[26]. Frankétienne accomplit cette symbiose en y mêlant les sonorités des deux langues à travers sa recherche-création[27].

Cette recherche de la parole juste s’inscrit contre tous les détournements cyniques des discours francophones et qui font penser à la « nécropolitique »[28] de François Duvalier qui avait d’ailleurs instrumentalisé toutes les causes haïtiennes et s’était même présenté comme le chantre de l’indigénisme en faisant du français la langue du pouvoir et de la terreur. « Dans le vodou haïtien donc, le sentiment dans l’ordre religieux, comme chez tous les peuples et toutes les races sous l’empire de leurs manifestations supra-normales, s’extériorise par la poésie et par la musique » écrivait Duvalier[29]. Frankétienne critique directement l’ensemble de ces tyrannies dans Chaophonie : « tous les tyrans sont des virtuoses du mensonge qui osent parler de démocratie qui se métamorphose toujours en voluptueuse métaphore enjolivée de faux espoirs avec promesses clinquantes »[30]. Dans la chaophonie, il importe d’éviter le piège de la parole belle qui vient manipuler les consciences. Les mots des dictateurs sont parfois terribles car ils séduisent et détournent le peuple de son histoire. Cela rappelle les développements de Jacques Attali sur les relations entre musique et politique avec cette idée d’une domestication de la parole[31].

           Pour Frankétienne, ce discours ensorcelé fait partie de cette tentation de la brutalité, il faut retrouver par la chaophonie la puissance créatrice susceptible de nous arracher à cette pulsion thanatique qui a envoûté Haïti pendant de nombreuses années. Il y a une volonté de ne pas céder au cynisme en retrouvant une vérité polysémique au-delà de la captation des mots par les dictatures. Dans le manifeste chaophone, l’idée est de retrouver cette parole vivante venant secouer les « mots gelés »[32] des discours touchant au « bois de la langue »[33] à partir de l’immersion dans les langues vernaculaires. Frankétienne est sans aucun doute l’artiste qui fait éclater les signifiants pour contrer toute manipulation possible du verbe, positionnement littéraire rappelant le signifying monkey d’Henri Louis Gates où on joue sur la pluralité des signifiants[34]. En effet, Henri Louis Gates a montré comment la culture afro-américaine avait historiquement réussi à mimer la langue des dominants et des esclavagistes en la détournant de son sens et en transformant ses codes[35].

La spirale chaophonique 

« J’écris de la spirale. La spirale, c’est cette écriture non linéaire qui essaie de retrouver le mouvement fondamental de la vie, car tout bouge, tout est mobile, malgré l’apparente mobilité »[36] confiait Frankétienne dans un entretien paru en 2019. En l’occurrence, Frankétienne fait de la spirale un motif géométrique et poétique. L’ouverture de Chaophonie est marquée par un champ lexical relevant de l’astrophysique pour décrire les catastrophes : « Haïti, trou noir. Mais aujourd’hui le trou noir est partout. D’immenses trous noirs avalent la planète entière. Des conflits destructeurs aux quatre coins du monde. Les séismes. Les tsunamis. Les inondations. Les famines. Les épidémies. La corruption. Les injustices. Les crimes. Les violences. Les terreurs imprévisibles. Le sida. Le choléra. Le chikungunya. L’Ebola et son spectre agressif. Sans oublier la machinerie diabolique des prédateurs qui continuent encore à labourer les entrailles de notre planète pour puiser le pétrole, l’or, l’argent, l’uranium et tant d’autres ressources enfouies dans l’écorce terrestre et les fonds marins »[37]. Autrement dit, toutes les catastrophes sont des exemples de trous noirs, c’est-à-dire des salves de destruction humaine apportant le néant. Le trou noir, c’est l’effondrement d’étoiles « sous l’effet de leur propre gravité »[38] ; en d’autres termes, le trou noir n’est pas causé par un principe extérieur, mais par la suractivité interne, c’est pour cela qu’il est une métaphore transposant à la poésie ce qui se passe physiquement. La spirale est ce qui se détache des trous noirs, ce qui caractérise cet univers en régénération fragile : « toute la mœlle du hasard se retrouve dans l’intensité du regard que nous projetons sur l’univers et sur nous-mêmes en perpétuelle fusion interactive. Et la sève du destin circule de manière continue dans nos rêves et nos paroles qui reproduisent les formes et les gestuelles de nos corps dans l’infinie spirale des clartés et des ombres »[39]. Cette citation se traduit par l’usage du zeugme sémantique où un élément biologique (la « sève ») et un élément abstrait (le « destin ») sont reliés[40]. Contourner les catastrophes ne signifie pas les éviter, mais tourner autour pour aller au-delà d’elles. « Dix mille sauts de sottises outrepassant le saugrenu, la molle géométrie de la mort encouleuvrée d’absurde, la gluance et la béance en pays de fausses portes et d’entonnoirs voraces »[41]. Voici une phrase typique du style de Frankétienne caractérisant cette spirale chaophone à partir de néologismes (« encouleuvrée »), d’allitérations (« mille », « molle » ; « sauts de sottises », « outrepassant », « saugrenu ») et de glissements rythmiques (« gluance », « béance »). Ce mouvement se poursuit à travers une oralité marquée par l’adjectif « voraces ». Dans chaque phrase, ce poème en prose réalise des rimes similaires en exprimant une tonalité spiralique : « Serrure sinueuse envoûtante, clé vicieuse fascinante, l’imaginaire tendu assoiffé d’insolite »[42]. Cette phrase nominale est en fait un vers fonctionnant autour d’un parallélisme phonique (« vicieuse » répond à « sinueuse », « fascinante » vient atténuer l’impact de l’adjectif « envoûtante »). Dans tout le texte des rimes qui permettent à certains mots de résonner avec un effet de fracas (« le cadastre du désastre »)[43]. Cette impression cénesthésique renoue sans aucune ambiguïté avec le geste rimbaldien consistant à attribuer une couleur aux voyelles. L’exploration de Frankétienne est très proche de ce point de vue de l’alchimie de Rimbaud dans son poème « Voyelles »[44].

La trajectoire des éléments se lit dans le champ lexical de la courbe avec le motif de l’ellipse qui revient plusieurs fois dans le poème manifeste : « La lune obèse de prophéties se dilate en sa grossesse lépreuse. La cicatrice en sa blancheur indique la panique de l’ellipse »[45]. Les allitérations en s et en l soulignent ce mouvement qui se traduit par une effervescence de sensations visuelles ; la poésie devient en quelque sorte la géométrie faite chair. « Au péril de sa vie aucun poisson ne peut s’extraire de l’eau, hormis le laps risqué d’un éphémère élan traçant l’ellipse aux contours d’un récif avant de s’éclipser »[46]. On découvre un festival (caco)phonique (« péril », « vie », « hormis », « risqué », « ellipse », « récif », « éclipser ») traduisant la trajectoire de l’élan vital du poisson ne pouvant échapper à sa condition liquide. En somme, la multiplication de ces jeux phoniques crée un effet de vertige où le désastre est pensé dans le mouvement incandescent de la vie : « dans les saillies nerveuses des métaphores et des symboles, tous les mots se consument dans l’ellipse intangible, l’incendie de la mémoire, la scansion du désastre aux désastres de la mort »[47]. Ainsi, « l’ellipse intangible » est une expression paradoxale décrivant une des possibilités spiraliques tout comme la courbe que l’on lit dans « la furie des courbes à vitesse prophétique »[48]. Le mot « prophétie » apparaît à onze reprises dans le texte, que ce soit comme nom singulier ou pluriel ou comme adjectif. Ce qui est annoncé n’est pas un événement religieux, mais spirituel au sens du lien entre toutes les énergies. D’ailleurs, Frankétienne prend bien soin de ne pas évoquer un dieu monothéiste, il se réfère constamment à un polythéisme de formes prenant l’allure de « dieux », « mes yeux, mes dieux, mes feux »[49]. Ces rimes renforcent cette idée d’un souffle vital qui relie les êtres entre eux et qui constitue le panthéisme de Frankétienne[50].

Cette spirale chaophonique contient une part autobiographique puisque le livre est dédié à un fils spirituel, Rodney Saint-Éloi qui est venu encourager Frankétienne à continuer son œuvre après ce terrible séisme de janvier 2010 : « Thank you, mon fils, de m’avoir remplacé dans la brûlante aventure de la modernité informatique ! Toi qui dis, qui redis, qui édites et qui réédites mes signes abstraits, tu couches avec la lune dans un lit d’or et de miel jusque dans les rues de Montréal, poussière blanche de vertige entre neige et cocaïne dans un miroir imaginaire. Mais tu étais pourtant présent dans la ville port-au-princienne qui bougeait ce mardi 12 janvier 2010 »[51]. Ce manifeste chaophone est un hommage appuyé à Rodney Saint-Éloi pour avoir permis à la maison d’édition Mémoire d’encrier de publier trois œuvres de Frankétienne. Le poème épistolaire puisqu’il s’adresse à un destinataire réel, compose avec l’expression « mémoire d’encrier » à plusieurs reprises : « tu t’évertues, mon fils, à éditer des ouvrages qui de plus en plus font tourbillonner nos neurones dans la mémoire des encriers à reflets d’arc-en-ciel »[52]. Le « tourbillon », autre métaphore exprimant la spirale, est relié aux multiples couleurs de cette « mémoire des encriers », de ces livres qui capturent l’oralité des récits. « Du puits de l’encrier, ta mémoire et la mienne s’agitent et s’enchevêtrent jusqu’au saignement du stylo mêlant texte et prétexte aux cris vifs du papier »[53]. Cet hommage est saisissant car Rodney Saint-Éloi est venu plusieurs fois aider Frankétienne à se relever de tous ces traumatismes en les convertissant en récits, il reconnaît d’ailleurs lui-même cette paternité spirituelle en évoquant la schizophonie de Frankétienne : « un de mes pères, l’écrivain Frankétienne, a voyagé pour la première fois à l’étranger à l’âge de 51 ans et s’est cantonné dans un fulgurant exil intérieur, ce qu’il nomme lui-même sa schizophonie »[54]. Frankétienne abreuve cet hommage de détails oraux proches de l’érotisme : « ensemble et à distance, nous goûtons, nous suçons, nous avalons des gouttelettes de pluie mûre qui tombent dans la mémoire de l’encrier de pure clarté, à l’épure de l’éclair, aux traits vifs du désir »[55]. On relève la présence d’un zeugme sémantique permettant d’allier un élément corporel (mobilisation du goûter) et d’un élément abstrait (la mémoire), figure de style utilisée de manière obsessionnelle par Frankétienne. Dans d’autres passages, il mentionne « une mémoire d’encrier à ne jamais s’éteindre »[56] ou bien « la volupté du feu dans l’encrier de l’édition »[57]. Cette métaphore filée montre que même l’hommage est pris dans l’ornière de la spirale avec ses reprises et ses tremblements. In fine, le coup de griffe de Frankétienne ressemble étonnamment au jazz avec ses chorus (reprises d’un thème) et ses improvisations[58].

Dans une errance érotique et thanatique

Il existe d’un côté un océan pulsionnel caractérisé par une forme d’« errance érotique »[59] où les oxymores, les zeugmes sémantiques, les allitérations et les assonances saturent l’espace et puis de l’autre une réflexion abstraite sur la géométrie et la physique. Par exemple, le texte est truffé de métaphores érotiques à l’instar de la suivante : « tu sais bien, mon fils, que notre île est une femme immodifiable en son corps absolu à volupté fluviale au seuil de l’embouchure »[60]. L’érotisme est marqué par un champ lexical de l’ouverture où la bouche est omniprésente à la fois pour crier mais aussi dans sa dimension sensuelle. Le poème-manifeste est en réalité une sorte de vocalise sur le chaos[61] : « Vérité, soif de luxe en pays de surdité, la bouche chaophonique, la gorge cacophonique, les lèvres tordues de vents intarissables, la langue fragile de lune en revirement d’audace, virtuose qui ose la volupté du feu qui danse, je peins, je dore mon pain en boulangerie d’étoiles »[62]. Le déplacement de « chaophonique » à « cacophonique » illustre ce jeu vocal permanent comme si la chaophonie était sans cesse guettée par une cacophonie renforcée par l’homonymie (« peins » / « pain » et le glissement de « cacophonique » vers « chaophonique » lorsqu’on ôte le « c »).

Les dénotations sont parfois surabondantes, ce qui crée, avec l’effusion des néologismes, un rythme endiablé et une violence dans le langage. La spirale chaophone s’emballe et si le style de Frankétienne est marqué par cette volonté de contourner la dictature des discours pour retrouver la chair des mots, on se demande si cet excès systématique ne nuit pas finalement à l’inspiration de l’auteur[63]. Les reprises, les chiasmes orchestrent cette errance où l’auteur joue avec les mots : « quand les gratte-ciel s’effondrent sous les dés du désastre, les fiançailles rompues au déclin des finances »[64]. Dans cette phrase, ces effets de reprises se ressent comme une forme de bégaiement (« dés du désastre » qui rappelle l’extrait précédent avec le « virtuose qui ose »)[65] avec un jeu quasi anagrammatique entre « fiançailles » et « finances ». Les séquences s’accélèrent et chaque vers donne l’impression que le rythme va chuter avec une rupture textuelle[66]. Cela vient rappeler l’importance de l’oralité car comme l’écrivait Glissant, « l’éclat des littératures orales est ainsi venu, non pas certes remplacer l’écrit, mais en changer l’ordre. Écrire c’est vraiment dire : s’épandre au monde sans se disperser ni s’y diluer, et sans craindre d’y exercer ces pouvoirs de l’oralité qui conviennent tant à la diversité de toutes choses, la répétition, le ressassement, la parole circulaire, le cri en spirale, les cassures de la voix »[67].

L’errance érotique se caractérise également par une liquidité abondante faisant penser à ce que Julia Kristeva nomme l’abjection, c’est-à-dire à la fois la fascination et le rejet de l’excrément[68] : « polychrome époustouflant des horreurs collectives en festival carnaval où brille l’or des orgies dans l’anal incendie des bacchanales abjectes »[69]. On découvre ici le visuel (« polychrome », « incendie ») renforcé par les reprises des rimes (« or », « orgies », « anal », « bacchanales ») manifestant cette pulsion. Dans un autre passage, Frankétienne écrit « l’abjection des onomatopées vicieuses »[70]. L’alliance entre les orifices, propre à cette errance érotique est constamment évoquée : « la vie s’enfougue, la vie s’envalse de l’anus au vagin »[71]. Y a-t-il des références religieuses cachées dans ces « orgies » ? Julia Kristeva commentait un passage d’Ézéchiel 4, 12 (« c’est une galette d’orge que tu mangeras : tu cuiras celle-ci sur des tas d’excréments humains, sous leurs yeux »)  de la manière suivante : « une bouche louée à l’anus : n’est-ce pas le blason d’un corps à combattre, un corps pris par son dedans, refusant ainsi la rencontre de l’Autre ? »[72]. C’est exactement cette lutte intérieure qui taraude Frankétienne car on laisse entendre que la spirale s’enroule sur elle-même et qu’elle devient suffocante. De facto, le corps est grippé dans une forme d’auto-érotisme avec une difficulté à atteindre l’autre. Le poème dédié à ce fils spirituel tourne en jeu de séduction, condamné à l’excès de ces humeurs scatologiques qui sont présentes pour démonter toute emprise, dictatoriale ou coloniale. L’abject est également présent dans le texte de Frankétienne avec le vomi (« la mort vomit de l’or », p. 22 ; « j’ai vomi mes écumes », p. 28 ; « il te faudra, mon fils, vomir les pièges des miroirs empoussiérés de sortilèges et de fétiches », p. 16). Les  visions abjectes mettent en évidence cette métaphysique du déchet inscrite dans le texte de Frankétienne : « tel un théâtre vrai, sans fard et sans masque, le déchet comme le cadavre m’indiquent ce que j’écarte en permanence pour vivre. Ces humeurs, cette souillure, cette merde sont ce que la vie supporte à peine et avec peine de la mort »[73].

La chaophonie permet de dévoiler la poétique d’un monde abject qui rejette certains êtres, elle devient un jeu avec la mort, mort qui est sans cesse convoquée tout au long du texte. Les « fabricants de catastrophes » et les « gouverneurs de la mort » (p. 16) scandent le discours « nécropolitique » des colons[74]. La mort est représentée à l’extrême par l’évocation du génocide (« panique génocidaire exterminatrice », p. 17) et par le détail minutieux des instruments de morts (« Zinglins, couteaux, rasoirs, machettes, méliacines, catchoupines, pistolets, mitraillettes…. », p. 17). Le terme de « catchoupine » est certainement dérivé du créole, mais on retrouve ici l’attirail et les armes des tontons macoutes, la tristement célèbre milice au service du régime Duvalier qui a été à l’origine de nombreux massacres[75]. C’est en ce sens que la spirale de la vie chez Frankétienne est sans cesse menacée par la mort absolue et l’impossibilité de renaître. Frankétienne y glisse sa griffe autobiographique, lui qui n’a failli pas se relever de cette catastrophe du 12 janvier 2010, vu que sa maison qu’il avait lui-même créée, avait été endommagée et fissurée. D’ailleurs, Lionel-Édouard Martin avait été témoin de cette désillusion qu’il a rapportée dans un récit : « …Après, on est allés chez Frankétienne. Et c’était, là-bas, terrible : sa maison, ce n’est plus que des fissures. Une maison qu’il avait bâtie de ses propres mains, une maison à son image. Une image de Frankétienne, la maison pas commune : et des tableaux de lui, partout…Mais Frankétienne vivant, sa femme aussi, vivante : une maison solide comme Frankétienne, mais fissurée, qui s’écroule, et c’est déjà un vieil homme, déjà, Frankétienne…. »[76].

Conclusion 

Frankétienne a un style exubérant utilisant des métaphores exprimant le son du chaos, c’est-à-dire cette chaophonie où les êtres humains, proches du néant, trouvent la force de rebondir. L’écriture du chaos s’inscrit dans un projet décolonial consistant à contourner tous les obstacles dictatoriaux, les discours qui imposent des vues contraires à la spirale de la vie. En définitive, la spirale chaophone est plutôt de l’ordre d’un mouvement vibratoire balancé entre l’épaisseur charnelle des sensations et le mouvement physique, plus abstrait. Dans cette perspective, le chaos est la condition de possibilité d’émergence des choses, il est ce sans-fond qui ne peut être touché comme l’écrivait Kostas Axelos : « c’est à partir du vide que tout émerge, se configure. Matrice universelle que nous ne quittons jamais, qui jamais ne nous quitte, il permet tant et tant d’édifications. Mais, justement, jamais le fond n’est touché, puisqu’il n’y a pas de fond »[77]. Il y a des trous noirs, des béances qui avalent en partie l’existant, mais il est important de se relever pour résister à toute politique nécropolitique. La chaophonie est toujours proche de la cacophonie et de l’indifférence des sons, elle rappelle la « catastrophe de sens » que décrivait Jean-Luc Nancy où il importe de reconstruire en permanence pour éviter la dissolution[78]. Cette conscience du chaos rapproche curieusement Frankétienne de la mythologie grecque et de la pensée de Castoriadis qui ne voyait de salut dans aucun fondement en dehors de la société. Le chaos est la promesse sans cesse renouvelée d’un cosmos, l’être humain circule à travers les dédales du labyrinthe qui correspond intimement à la mangrove antillaise : « L’entrée du Labyrinthe est immédiatement un de ses centres, ou plutôt nous ne savons plus s’il est un centre, ce qu’est un centre. De tous les côtés, les galeries obscures filent, elles s’enchevêtrent avec d’autres venant on ne sait d’où, n’allant peut-être nulle part. Il ne fallait pas franchir ce pas, il fallait rester dehors »[79].

Références bibliographiques

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Note

[1] Série « Frankétienne, ou l’immense cathédrale », France Culture, 6 janvier 2014, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/a-voix-nue/franketienne-1-5-6681160

[2] Nous empruntons cette expression à Alexandre Gurita http://www.revuedeparis.fr/qu-est-ce-qu-un-artiste-multimodal/

[3] Stanislas Jullien, Survivance(s) de l’humanité – Derrida et la question de l’homme, Paris, Hermann, 2016. Frankétienne, dans Chaophonie, évoque ce qu’il appelle la « survie pathétique ». Frankétienne, Chaophonie, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014, p. 10.

[4] Georges Didi-Huberman, Survivance des lucioles, Paris, éditions de Minuit, 2016.

[5] Kaiama Glover, ”Showing vs. Telling: Spiralisme in the Light of Antillanité”, The Journal of Haitian Studies, vol. 14, n. 1, pp. 91-117. « La spirale elle-même est la vie, le monde », France Culture, 8 janvier 2014, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/a-voix-nue/franketienne-3-5-2850817

[6] Frankétienne, Ultravocal, Paris, Hoëbecke, 2004 [1972].

[7] Émission « Des livres et vous », 17 mai 2019, Radio Télévision Caraïbes, https://www.youtube.com/watch?v=mKXrGeWTjlA

[8] Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde : poétique IV, Paris, Gallimard, 1997, p. 16 : « Les poétiques diffractées de ce Chaos-monde que nous partageons, à même et par-delà tant de conflits et d’obsessions de mort, et dont il faudra que nous approchions les invariants ». Frankétienne avait confié dans une interview de 2013 sur Canal Bleu (Chaîne 38 Haïti) le souvenir d’une conversation avec Glissant où celui-ci voyait dans l’œuvre de Frankétienne celle qu’il aurait dû écrire. « Kiskeya, l’île mystérieuse », émission Culturelle animée par Marie-Alice Théard sur Canal Bleu (3 mars 2013), https://www.youtube.com/watch?v=ZoHc21DROV4 (Dernière visite 23 avril 2023).

[9] Kaiama Glover, “Showing vs. Telling: Spiralisme in the Light of Antillanité”, The Journal of Haitian Studies, vol. 14, n. 1

[10] Cornelius Castoriadis, Fenêtre sur le chaos, Paris, Seuil, 2007. On trouve également cette mention d’une fenêtre sur le monde dans la préface de l’Anthologie secrète de Frankétienne rédigée par Rodney Saint-Éloi : « Enfin, pour jouer à l’iconoclaste, ce livre n’est pas vraiment un livre….seulement une fenêtre. Une fenêtre ouverte sur une intimité. Une fenêtre ouverte sur le désir d’un homme dont l’unique rêve est de ne pas mourir dans le déshonneur de la foule et qui, jusqu’ici, n’a vécu que pour son immortalité » (Frankétienne, Anthologie secrète, Montréal, éditions Mémoire d’encrier, 2005, p. 5.

[11] Sylvia Winter & Katherine McKittrick, ‘Unparalleled Catastrophe for Our Species? Or, to Give Humanness a Different Future: Conversations’. In Katherine McKittrick (ed.) Sylvia Winter: On Being Human as Praxis. Durham and London : Duke University Press, 2015, p. 23.

[12] « Les malheurs de Sophie », Le Point, 20 septembre 2018. On trouve aussi dans Chaophonie la thématique de la chute et de la rechute : « apprentissage et tâtonnements, chutes et rechutes, zigzags et bégaiements de nos réminiscences », Frankétienne, Chaophonie, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014, p. 18. Yves Chemla a pris une photo de cette citation mise en peinture par l’artiste lui-même. Yves Chemla, “Frankétienne poto-mitan”, Continents manuscrits, en ligne depuis le 15 mars 2022, 25 avril 2023.  URL: http://journals.openedition.org/coma/8374; DOI: https://doi.org/10.4000/coma.8374

[13] Malcolm Ferdinand, Une écologie décoloniale, Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Paris, Seuil, 2019, p. 192.

[14] Op. Cit., p. 99.

[15] Op. Cit., p. 105. Voir Tony Martin, Caribbean History, From Pre-Colonial Origins to the Present, New York, Routledge, 2016, pp. 159-182.

[16] Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde : poétique IV, Paris, Gallimard, 1997, p. 139.

[17] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/a-voix-nue/franketienne-1-5-6681160 (Dernière consultation 7 janvier 2023). « Retour à la source de l’œuvre de Frankétienne », L’Humanité, 20 juin 2013. Geneviève Waite, « Légende haïtien, créateur translingue : Un Entretien avec Frankétienne », Journal of Haitian Studies, 25, 2, Fall 2019, p. 264. Frankétienne avait été assigné à résidence par le régime Duvalier, voir https://www.lapresse.ca/arts/spectacles-et-theatre/theatre/201009/18/01-4316982-franketienne-le-pilier-dhaiti.php (dernière consultation le 9 janvier 2023).

[18] Frankétienne, Chaophonie, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014, p. 25.

[19]Jérôme Cabot, « La poémaïeutique », Pratiques, 2018, https://doi.org/10.4000/pratiques.5394 (Dernière consultation 9 janvier 2013). Voir Stéphanie Pahud, « Tirer sa voix de la ‘chaophonie’ », Le Matin Dimanche, 23 juillet 2022.

[20] Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, éditions de Minuit, 1980. Jean-François Lyotard, économie libidinale, Paris, éditions de Minuit, 1974.

[21] Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde : poétique IV, Paris, Gallimard, 1997, p. 16.

[22] Édouard Glissant, Op. Cit., p. 22.

[23] Frankétienne, Chaophonie, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014, p. 10 : « mon ami Manno Ménard me l’a rappelé tout récemment en spirale de paradoxes et de signes impossibles, tant il m’arrive de flairer l’imminence des désastres et l’opulence des catastrophes ».

[24] Geneviève Waite, « Légende haïtien, créateur translingue : Un Entretien avec Frankétienne », Journal of Haitian Studies, 25, 2, Fall 2019, p. 263.

[25] Christophe Premat, « L’héritage francodoxe de Léopold Sédar Senghor ». In : Maxime Del Fiol (dir.), Francophonie, plurilinguisme et production littéraire transnationale en français depuis le Moyen Âge, Genève : Droz, 2023, pp. 245-246. Christophe Premat, Pour une généalogie critique de la Francophonie, Stockholm, Stockholm University Press, 2018.

[26] Léopold Sédar Senghor, « Le français, langue de culture », Esprit, n. 311, novembre 1962, p. 841.

[27] Myriam Suchet, « Écrire en français au pluriel : une hypothèse pour une recherche affectée », In : Maxime Del Fiol (dir.), Francophonie, plurilinguisme et production littéraire transnationale en français depuis le Moyen Âge, Genève : Droz, 2023, p. 412.

[28] Achille Mbembe, « Nécropolitique », Presses de Sciences Po, n°21, 2006, p. 34.

[29] François Duvalier, Guide des « Œuvres Essentielles » du Dr. François Duvalier, Chicoutimi : Classiques des Sciences Sociales, 1967, pp. 37-38.

[30] Frankétienne, Chaophonie, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014, p. 15.

[31] Jacques Attali, Bruits, essai sur l’économie politique de la musique, Paris, 1977, p. 15

[32] Isabelle Autissier, Erik Orsenna, Passer par le Nord, La nouvelle route maritime, Paris, Gallimard, 2016, p. 5 : « les paroles gèlent comme dans Rabelais ».

[33] Henri Meschonnic, Dans le bois de la langue, Paris, Teper, 2008. On ne peut s’empêcher de penser à la critique que Castoriadis adressait aux discours cyniques détournés par les régimes bureaucratiques. Cornelius Castoriadis, Devant la guerre, I Les Réalités, Paris, Fayard, 1981, p. 135 : « La relation du ‘mot’ avec son ‘signifié’ – la signification- ne peut être ni absolument déterminée et rigide, ni, dans la société considérée, totalement arbitraire, c’est-à-dire manipulable à souhait ». 

[34] Henri-Louis Gates, The Signifying Monkey, Oxford, Oxford University Press, 2014.

[35] Christophe Premat, « Entre aliénation et déception identitaire : étude de la Traversée de la Mangrove de Maryse Condé », Karib – Nordic Journal for Caribbean Studies, 5 (1), 2020, https://doi.org/10.16993/karib.37

[36] Geneviève Waite, Op. Cit., pp. 265-266.

[37] Frankétienne, Chaophonie, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014, p. 7.

[38] Stephen Hawking, Dernières nouvelles des trous noirs, Paris, Flammarion (traduit de l’anglais par Sophie Lem), 2016, p. 11.

[39] Frankétienne, Chaophonie, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014, p. 21.

[40] Cela renvoie à certains zeugmes typiques de Rimbaud dans son poème « Oraison du soir » : « Puis, quand j’ai ravalé mes rêves avec soin » (Arthur Rimbaud, Poésies complètes, Paris, Léon Vanier, 1895, p. 8. Le mot « sève » est souvent employé par Rimbaud comme dans « Soleil et chair » (p. 77).

[41] Frankétienne, Chaophonie, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014, p. 15.

[42] Ibid., p. 15.

[43] Ibid., p. 35.

[44] Arthur Rimbaud, Poésies complètes, Paris, Léon Vanier, 1895, p. 13. Comment ne pas voir dans l’usage de certains néologismes de Frankétienne les traces d’une élaboration poétique qu’on a chez Rimbaud ? « qui bombillent autour des puanteurs cruelles » (Rimbaud, p. 7))

[45] Frankétienne, Chaophonie, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014., p. 30.

[46] Ibid., pp. 24-25.

[47] Ibid., p. 25.

[48] Ibid., p. 10.

[49]Ibid., p. 18.

[50] Il revient sur ce panthéisme qui n’est pas religieux, mais plutôt le signe d’une interrelation entre tous les êtres. Émission « Des livres et vous », 17 mai 2019, Radio Télévision Caraïbes, https://www.youtube.com/watch?v=mKXrGeWTjlA

[51] Frankétienne, Chaophonie, p. 19.

[52] Ibid., p. 8.

[53]Ibid., p. 18.

[54] Rodney Saint-Éloi, Passion Haïti, Québec, Septentrion, 2016, p. 11. Frankétienne, L’Oiseau schizophone, Jean-Michel Place, Albias, 1998.

[55] Frankétienne, Chaophonie, p. 35.

[56] Ibid., p. 34.

[57]Ibid., p. 34.

[58] Frankétienne a lui-même écrit : « en rapjazz, je dis ma ville ». Frankétienne, Rapjazz, journal d’un paria, Montréal, Mémoire d’encrier, 2011, p. 11.

[59] Nous reprenons le titre de l’ouvrage de Kostas Axelos sur L’errance érotique. Kostas Axelos, L’errance érotique, Bruxelles, La Lettre volée, 1992.

[60] Frankétienne, Chaophonie, p. 34.

[61] Cette vocalise rappelle le travail effectué dans le recueil Ultravocal publié en 2004 par Frankétienne.

[62] Frankétienne, Chaophonie, p. 12.

[63] C’est en tout cas le sentiment partagé par Dominique Chancé lorsqu’il commente le style de L’Oiseau schizophone. Dominique Chancé, Frankétienne, Haïti, dans Écritures du chaos, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2008, https://doi.org/10.4000/books.puv.1404

[64] Frankétienne, Chaophonie, p. 10.

[65] On trouve aussi dans le même passage « déroute et banqueroute » avec une reprise d’un phonème dans le mot suivant. Frankétienne, Chaophonie, p. 10.

[66] Cela prolonge en filigrane l’éthique de la déconstruction lorsque le sens du texte s’effondre pour laisser place à une nouvelle interprétation. On peut se reporter à ce sujet à l’échange entre Derrida et Caputo. Jacques Derrida, John D. Caputo, Deconstruction in a Nutshell : A Conversation with Jacques Derrida, New York, Fordham University Press, 2021, p. lv.

[67] Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde : poétique IV, Paris, Gallimard, 1997, p. 121.

[68] Julia Kristeva, Pouvoirs de l’horreur, Paris, Seuil, 1980, p. 14 : « L’abjection de soi serait le forme culminante de cette expérience du sujet auquel est dévoilé que tous ses objets ne reposent que sur la perte inaugurale fondant son être propre ».

[69] Frankétienne, Chaophonie, p. 18.

[70] Frankétienne, Chaophonie, p. 30.

[71] Ibid., p. 29.

[72] Julia Kristeva, Pouvoirs de l’horreur, Paris, Seuil, 1980, p. 112. Les images religieuses sont également commentées par Malcolm Ferdinand lorsqu’il montre comment la catastrophe peut lier l’arche de Noé à un négrier de Noé avec le renforcement du traumatisme esclavagiste. Malcolm Ferdinand, Une écologie décoloniale, Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Paris, Seuil, 2019, p. 202. Le risque selon Malcolm Ferdinand est d’aborder la crise écologique à partir du négrier de Noé en triant celles et ceux qui sont exclus de toute humanité : « la politique du débarquement impulsée par le navire négrier donne une représentation du monde et de ses habitants ayant pour condition d’être des corps perdus » (p. 203).

[73] Julia Kristeva, Pouvoirs de l’horreur, Paris, Seuil, 1980, p. 12.

[74] Achille Mbembe, « Nécropolitique », Raisons politiques, n°21, 2006, p. 44.

[75] Un des massacres organisés par les Tontons macoutes fut celui des Vêpres jérémiennes commis le 5 août 1964 contre des opposants au régime liés au mouvement Jeune Haïti, https://lenouvelliste.com/article/134232/aout-1964-jeremie-se-souvient-et-commemore (article consulté pour la dernière fois le 10 janvier 2023).

[76] Lionel-Édouard Martin, Le Tremblement. Haïti, 12 janvier 2010, Paris, Arléa, 2010, pp. 63-64. Voir Yves Chemla, “Frankétienne poto-mitan”,  Continents manuscrits, en ligne depuis le 15 mars 2022, 25 avril 2023.  URL: http://journals.openedition.org/coma/8374; DOI: https://doi.org/10.4000/coma.8374

[77] Kostas Axelos, Ce qui advient, fragments d’une approche, Paris, éditions Les Belles Lettres, 2009, p. 44.

[78] Jean-Luc Nancy, L’Équivalence des catastrophes (Après Fukushima), Paris, Galilée, 2012, p. 20.

[79] Cornelius Castoriadis, Fenêtre sur le chaos, Paris, Gallimard, 2007, p. 65.