De l’hétérosexualité en Haïti : mythes, tabous et paradoxes, de Jean Willy Belfleur

Meggie Petit-Maître
écrivaine féministe

Dans un contexte de société haïtienne marquées par les inégalités de genre, le sexisme et le machisme, le philosophe Jean Willy BELFLEUR explore la sexualité féminine dans un corps mutilé et réprimé par les stéréotypes et les préjugés dégradants sous le joug des mâles dominants trop longtemps confortables dans leur ignorance du corps de la femme au sein des relations hétérosexuelles.

Cet essai pédagogique de 245 pages expose une thématique jamais abordée jusque-là dans la société haïtienne. Ce livre riche en relevés d’études scientifiques et en anecdotes personnelles enchaîne cinq chapitres captivants, où l’auteur ose aborder sans gant de soie  les questions les plus délicates et complexes liées à la sexualité humaine, et aux incompréhensions des expressions du corps de la femme tout en proposant  une analyse approfondie des sujets tels que « l’exsudation ou le mouillé sexuel du corps féminin », « la sexualité à l’âge avancé, la ménopause et l’orgasme: incidence et rapport chez les deux sexes »,  « le problème de la profondeur de l’orifice vaginal, le mythe de la taille du pénis et la réalité des méfaits smegmatiques et phimosistiques de la verge », « les rapports buccaux-génitaux et bucco-anaux: entre risques, complexes et immoralités », et enfin  « de la moralisation religieuse de la sexualité humaine à la nécessité de l’éthique minimaliste». « La satisfaction ou le plaisir ne pourrait être atteint en dehors du fait de l’excitation elle-même », pour citer l’auteur qui plonge dans une analyse approfondie des différentes phases « du divertissement sexuel » dès le premier chapitre du livre, ce qu’il appelle l’anatomie de l’acte sexuel.

En déconstruisant les stéréotypes et les frustrations souvent associés aux préliminaires, l’auteur souligne les 4 phases de réalisation d’un bon coït.

La première phase faisant état de l’érogénéité du corps de la femme, « Le corps entier de la femme peut être érogène » pour reprendre Margaret Mead dans le but de rappeler qu’aucune partie du corps de la femme ne devrait être négligée lors des préliminaires. La femme est alors une boule érogène qui peut être excitée sur toute sa superficie. Il a ajouté à l’analyse de cette phase l’importance de l’exsudat. Le phénomène du mouillé vaginal autrement désigné comme l’exsudation est exploré dans l’essai comme le point d’encrage du premier chapitre. Pour démystifier les idées fausses et préconçues qui entourent la lubrification naturelle du vagin, il expose avec délicatesse et sensibilité que l’exsudat au lieu d’être vu comme un signe apparent d’infection vaginale ou plutôt des « larmes » d’un vagin altéré ou défectueux n’est autre qu’une réponse physiologique ou organique normale et « propre » à l’excitation sexuelle qui a pour mission de permettre au phallus de faire son introduction dans le vestibule du vagin au moment convenable, ce qu’il nomme, avec les sexologues, Maters et Johnson : une « entrée sur invitation ». Vient à présent la phase de la pénétration où les deux sexes se joignent pour maximiser le plaisir des deux partenaires. Dans la phase de pénétration et celle de l’orgasme il est abordé la question délicate de la qualité du vagin. Quand est-ce qu’on dit d’un vagin qu’il est un bon Vagin « appétissant » ? Dans une approche féministe il est très important de mettre l’accent sur les précautions prises par l’auteur pour mettre à la fois en avant l’ignorance des mâles dominants mais aussi celle de la femme haïtienne, premier acteur de socialisation assurant la retransmission des valeurs sociales, sur son propre corps qui s’autoflagelle avec les préjugés servant à sa dégradation. Dans les rapports hétérosexuels les hommes censurent le corps de la femme en références à des normes culturelles tandis que ces normes n’ont aucune valeur universelle ou du moins objective.

Pour l’homme haïtien un bon vagin est un vagin sec difficilement pénétrable. La sécheresse de ce vagin serait l’une des caractéristiques d’un vagin réservé et vertueux. Ce qui est systématiquement le contraire dans la culture occidentale. D’où le mouillé du vagin ou la mouille vaginale encore appelé la décharge vaginale est un signe absolu de réceptivité de la femme qui est stimulée lors des préliminaires à un acte sexuel.  Il est aussi abordé la question de la taille de l’orifice vaginal qui serait liée à la fréquence, à la quantité d’expérience sexuelle et à la tonicité du vagin qui est une autre caractéristique d’un vagin respectable et vertueux. Un vagin qui n’a pas suffisamment de tonicité pour agripper le pénis de son partenaire est qualifié de vagin méprisable, vieilli et usé qui « a failli à sa mission ». Les comparaisons avec un moteur d’automobile et avec un met gastronomique pour décrire le vagin et l’acte sexuel permet d’illustrer de façon très imagée le phénomène de l’engrenage très préoccupant pour les hommes par rapport à la qualité du vagin. L’ouvrage aborde avec beaucoup de nuances l’insuffisance de tonicité du vagin et explore plusieurs causes du relâchement du muscle de la paroi vaginale pour déconstruire ces mythes et en soulignant l’importance de reconnaître la diversité anatomique du corps féminin.

La dernière phase dans l’acte sexuel étant la phase réfractaire ou de résolution ; après l’éjaculation de l’homme, le philosophe démontre qu’à ce stade que la tension de l’homme est calmé, il devient, en général, doux et reconnaissant à l’endroit de son partenaire. Les études mentionnées dans l’ouvrage attirent l’attention sur le comportement régulier des hommes ne souffrant aucun trouble d’ordre neuro-sexologique.  C’est-à-dire, elles décrivent l’état d’âme des hommes après leur déchargement dans le canal vaginal de leur partenaire, il s’agit d’un sentiment de bien-être et de détente. Plus de tension, c’est le moment de relaxation par la satisfaction des désirs et du besoin sexuel. Néanmoins, on retrouve des cas où, tout au contraire, l’homme éprouve de la répulsion et du dégoût, voire même de la culpabilité vis-à-vis de son partenaire sexuel. Cet état de déplaisir après un ébat sexuel réussi peut s’expliquer au fait que ces hommes-là souffrent d’insuffisance ou d’impuissance orgastique. Dans cet ordre d’idée, l’auteur souligne qu’un traitement psychanalytique décèlerait des tendances homosexuelles chez ces derniers.

Le deuxième chapitre présente une analyse de la sexualité à la ménopause. L’auteur propose un point de vue balancé et indulgent sur le sexe des gens du 3ème âge souvent mal compris. Il analyse les défis et les opportunités que la ménopause peut présenter en termes de sexualité, en encourageant une approche inclusive et tolérante qui accepte la diversité des expériences individuelles et valorise le plaisir et le bien-être sexuel à tout âge. Les préjugés auxquels font face les femmes du troisième âge en Haïti sont vécus avec doute et honte, cette étape étant celle dans laquelle l’épanouissement sexuel de ces dernières est le plus remis en question. C’est le début de la retraite sexuelle anticipée imposée par les tabous et les pressions sociales. Ce chapitre offre une perspective plus franche et sans tabous des combats physiques, relationnels et émotionnels que constitue la ménopause. Et, ce stade de la vie sexuelle invite à la compréhension, à la solidarité et surtout à l’acceptation de soi et une nouvelle expression de la liberté sexuelle sachant que « si la ménopause ne permet plus désormais de concevoir un enfant, elle n’empêche pas pour autant de faire l’amour ».

Dans le troisième chapitre l’idée de l’orgasme chez les deux sexes resurgit, l’auteur continue à défaire les mythes et les idées fausses qui persistent autour de cette expérience sexuelle souvent perçu comme un challenge. À travers des données scientifiques, des témoignages personnels et des analyses critiques, il met en évidence la diversité des expériences orgasmiques et souligne l’importance de reconnaître et de valoriser cette dimension essentielle de la sexualité humaine. Il se penche sur les différents types d’orgasmes féminins, offrant une analyse approfondie des expériences orgasmiques variées que les femmes peuvent vivre. Le philosophe démontre que les orgasmes peuvent être déclenchés par une variété de stimulations et se manifester de différentes manières, incluant le phénomène très rare de la « femme fontaine ». L’orgasme féminin est aussi varié que les femmes elles-mêmes. Donc ce qui contredit l’idée populaire selon laquelle il n’existerait qu’un seul type d’orgasme féminin. Cette approche déconstruit les mythes autour de l’orgasme féminin et valorise la diversité des expériences sexuelles des femmes.

Ce troisième chapitre aborde aussi le délicat problème de la profondeur de l’orifice vaginal et de la taille du pénis, explorant les normes sociales et les attentes culturelles qui entourent ces questions anatomiques complexes. L’auteur avance dans l’ouvrage que le plaisir sexuel de la femme ne dépend pas de la taille du pénis aussi bien qu’il est certain qu’il n’existe pas de vagin ni trop large ni trop profond en raison de l’extrême élasticité du vagin qui est capable de s’ajuster à la taille du pénis qui le pénètre. L’auteur plaide pour une approche respectueuse et inclusive qui reconnaît la diversité corporelle et promeut une sexualité basée sur le plaisir mutuel et le respect des choix individuels.

Enfin, dans le quatrième chapitre, l’auteur examine les rapports bucco-génitaux et bucco-anaux, naviguant entre les risques de maladies infectieuses et les complexes de supériorité du mâle alpha qui est en position dominante lors de la fellation et de l’éventuel sentiment d’être assujettie que peut ressentir la femme dominée par l’homme lors de ces pratiques. Les différentes mises en examens effectués au regard des préjugés suggèrent aussi un pouvoir de validation et de sanction à l’homme qui décidera d’honorer un vagin fidèle, préservé, méritant, respectable et vertueux par un cunnilingus. L’accent est aussi mis sur les considérations morales souvent associées à leur exploration. À travers une analyse éthique approfondie, l’auteur propose une réflexion sur la nécessité d’une éthique minimaliste dans la sexualité humaine, mettant en avant le consentement, la responsabilité et le respect comme fondements essentiels de toute interaction humaine. Cette éthique minimaliste se base sur trois grands principes : l’indifférence morale du rapport à soi-même, la non nuisance à autrui et l’égale considération de chacun.

Le cinquième chapitre de l’ouvrage offre une exploration de la sexualité humaine, naviguant avec habileté entre les questions scientifiques, sociales et éthiques qui façonnent notre compréhension de ce domaine crucial de l’expérience humaine. À travers une analyse profonde et une réflexion stimulante, l’auteur invite les lecteurs à repenser et à réévaluer leur approche de la sexualité, en mettant en avant l’importance du respect, de la diversité et de l’éthique dans toutes les interactions sexuelles.

Dans une démarche qu’on peut désigner comme étant féministe l’auteur peint et expose les défectuosités d’une hétérosexualité patriarcale et conservatrice haïtienne dans laquelle les plaisirs sexuels féminins sont réprimés et mal compris, le corps de la femme mal aimé et sans cesse sanctionné par des hommes et par la morale religieuse qui se tiennent comme de véritables garde-fous de l’épanouissement de la sexualité féminine. Les analyses anthroposociales avancées mettent en lumière un état de fait qui crée un malaise millénaire dans les relations hétérosexuelles que les hommes perpétuent comme une garantie supplémentaire de leur domination sur les femmes.

Le dégoût des hommes du mouillé vaginal et du vagin sanctionné « mauvaise nature », leur insouciance de la satisfaction sexuelle de leur partenaire, leur intolérance aux femmes ménopausées sont autant de violences verbales qu’émotionnelles sur fond d’inégalités construites sur l’ignorance que l’auteur dénonce.

La lecture de l’ouvrage ne laisserait pas le lecteur avec le sentiment d’une incompatibilité entre les luttes féministes et l’hétérosexualité mais plutôt avec une poussée vers la rétrospection, l’acceptation d’apprendre, mieux encore, de vouloir déconstruire les limites et les préjugés stériles au profit de relations hétérosexuelles égalitaires, complémentaires valorisant le ressenti et l’expression d’une sexualité féminine libérée.