Mihaela Gabriela Stănică
Abstract
Published in 2019 and having been granted the Prix des Cinq Continents de la Francophonie, Beata Umubyeyi Mairesse’s novel, Tous tes enfants disperses, offers the reader the opportunity to identify the cognitive mechanisms set in motion in order to envision racial hybridity in the postcolonial context, or, better said, to realize the reconfiguration and the transfiguration of hybrid body in a series of discursive strategies meant to mediate our relationship to the contemporary world. This cognitive and cultural negotiation of our relationship with the world and with reality becomes a real imperative if we consider the background of the novel: the world torn apart by the deadly History – the genocide of the Tutsi in Rwanda in 1994. In this postcolonial context, could the hybrid Subject, the one who suffered the normative violence of the binary paradigm of race, constitute a new biological and epistemic model intended to make possible a new type of relationship to reality?
Keywords: hybridity, the aesthetics of patching, epistemology, genocide, bilingualism
Le roman de Beata Umubyeyi Mairesse, Tous tes enfants dispersés, paru en 2019 et couronné du Prix des Cinq Continents de la Francophonie, représente une tentative d’identifier les mécanismes cognitifs nécessaires pour donner voix à l’indicible, dire le mal infligé par l’Histoire (le génocide des Tutsi en 1994) et transfigurer l’expérience traumatique dans une expérience littéraire destinée à « réparer le monde[1] » (selon la formule d’Alexandre Gefen), à panser les blessures béantes de l’humanité. L’hypothèse que l’on avancerait consiste à considérer que, dans le cas du roman de Beata Umubyeyi Mairesse, cette réparation semble se réaliser à travers une stratégie qui transpose, au niveau du dispositif narratif, une esthétique du tissage (selon les termes de Virginie Brinker et Elsa Costero qui parlent de la « métaphore filée du tissage[2] » pour expliciter la transformation du texte littéraire en véritable dispositif à travers lequel on investit de cohérence un monde en proie à la dispersion et à la violence ). Cette esthétique que l’on va plutôt désigner comme esthétique de remaillage (étant donné sa capacité de court-circuiter violemment les distances entre les catégories et d’abolir les dichotomies) semble être la transposition narrative et cognitive du modèle corporel du métis – personnage autour duquel se configure la trame narrative de ce roman. Il s’agirait, donc, également, d’un texte qui fonctionne comme une radiographie des processus cognitifs mis en marche pour penser le corps métis en postcolonie, ou, mieux dit, pour réaliser la reconfiguration et la transfiguration de l’anatomie métisse dans une série de stratégies discursives. On découvrirait, donc, ces stratégies nécessaires pour penser notre rapport au monde contemporain, un monde déchiqueté par l’Histoire mortifère, stratégies qui sont calquées sur les mécanismes cognitifs[3] utilisés pour réaliser la représentation et la reconfiguration de la problématique biologie du métis.
En effet, la figure du métis avait représenté une véritable impasse épistémologique, impasse dont l’ampleur nous est dévoilée par l’immense effort taxinomique déployé au sein des discours anthropologiques du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle. Ces récits anthropologiques s’approprient la figure du métis afin de circonscrire dans les limites rassurantes des catégories et des sous-catégories, la biologie fluide de ce personnage étiqueté à tour de rôle comme métis, mulâtres, zambos, métis au premier degré, métis au deuxième degré, métis quarteron par croisement de retour, métis de trois races, etc. Il s’agissait d’une démarche normativisante qui se proposait d’apprivoiser et de fixer les contours identitaires du métis placé sous le signe d’une biologie instable qui menaçait de rendre perméables les frontières raciales. Selon l’auteur suisse Maurice Muret, la fluidité du corps métis répandait le trouble de l’indifférenciation et alimentait l’angoisse de la régression et du « grignotement de la race blanche »[4] qui serait absorbée par une race noire en ascension, alors que le médecin René Martial dénonçait cette même instabilité biologique[5], en proclamant catégoriquement que : « le métis est instable par nature »[6]. Comme le besoin de circonscrire dans le champ du visible normatif le corps du métis, de matérialiser au niveau de son corps la différence raciale, était devenu impératif (étant donné que ce corps subversif menaçait de rendre perméables et donc de mettre en question les frontières raciales), les discours scientifiques s’étaient efforcés de circonscrire son corps dans une catégorie biologique stable. René Martial proposait la métaphore biologisante de la « greffe inter-raciale »[7] et annonçait les principes d’un eugénisme nourri du biologisme et fondé sur la capacité du métis à se faire assimiler (se laisser circonscrire dans une identité biologique et culturelle contrôlable), alors qu’Élie Faure, tout en évoquant les mensurations des crânes comme réplique à l’« anarchie ethnique sans précédent »[8], proposait la métaphore des « trois gouttes de sang […] dans tel grand lac pur de sang blanc »[9] pour expliquer les mécanismes qui transforment le métissage dans un « drame ethnique »[10]. Il faut souligner le rôle de ces métaphores qui s’insinuent dans les discours scientifiques se penchant sur la figure inclassable du métis, pour mieux dénoncer le trouble épistémique suscité par ce personnage qui défie les catégories identitaires, en mettant en question leur légitimité même.
Les études coloniales et postcoloniales se sont ultérieurement emparées de la figure du métis pour dénoncer les rapports de pouvoir et de domination biopolitique fondés sur la race, la classe et le sexe, à l’œuvre dans la production culturelle de ce personnage hybride. Dans son étude paradigmatique, Logiques métisses[11], Jean-Loup Amselle envisage le métissage comme une métaphore (biologisante) des sociétés définies à travers un « syncrétisme originaire »[12] explicable par une instabilité constitutive de la frontière, pour proposer, ultérieurement, la notion de branchement[13] – modèle de la connexion-contagion horizontale, en réseau. Édouard Glissant introduit la notion de créolisation[14] pour expliquer le processus de permanente reconfiguration rhizomique investie de la violence du métissage, alors que pour Homi Bhabha[15] l’hybridité, inséparable de l’ambivalence et du mimétisme, est envisagée comme mécanisme de subversion et de négociation permanente des frontières identitaires[16]. On pourrait donc affirmer que ces perspectives postcoloniales convergent dans un même effort pour vider le personnage métis de sa dimension biologique, afin de pouvoir ensuite le transformer dans un dispositif de production des interstices culturelles, une sorte d’espace mental à partir duquel la négociation et la contagion culturelle deviennent envisageables.
Dans le champ des études postcoloniales et décoloniales où les aventures et les mésaventures du sujet métis alimentent à la fois l’impératif de dénoncer la violence du découpage racial et le désir de trouver les outils épistémiques pour penser sa condition liminaire, le roman de Beata Umubyeyi Mairesse, Tous tes enfants dispersés, occupe une position tout à fait particulière. Ce récit nous permettrait d’assister à la reconfiguration d’un corps dont les différentes représentations nous dévoilent sa transformation dans un enjeu politique, dans une biologie problématique ou dans un outil épistémique guidant nos nouveaux rapports au monde contemporain. Dans le monde révélé par ce roman, déstabilisé, défiguré et même à peu près anéanti par la violence (à partir de celle du fait colonial jusqu’à celle du génocide), le métissage fonctionnerait comme une grille permettant à la réalité d’acquérir son intelligibilité et sa cohérence.
Le roman est peuplé par des personnages qui semblent incarner, à travers les différentes manières dont ils se rapportent à leur condition métisse, les paradigmes illustrant les champs épistémologiques qui ont essayé de s’emparer du sujet métis. On retrouve des personnages investis d’une visibilité normativisante comme Blanche, issue d’un couple mixte, franco-rwandaise, installée à Bordeaux ( elle s’y était installée avant que l’enfer du génocide des Tutsi soit déclenché au Rwanda) où elle va constamment osciller entre l’impératif de rendre visible sa différence (raciale) et l’ambiguïté de son statut illustrant l’entre-deux culturel. Son mari, Samora, à la recherche d’un père qu’il n’aurait jamais connu et d’une identité qu’il va puiser dans les récits des Autres, sera transformé dans un objet (auto)exotique. Quant à Stokely (l’enfant de Samora et de Blanche), représentant d’« une nouvelle génération, plus métissée, plus ouverte, moins crispée[17]», sa condition devient symptomatique de la transformation du métis en outil subversif à travers lequel on opère l’ouverture des catégories identitaires.
Les racines du malaise identitaire de Blanche semblent remonter à ce premier geste performatif de sa mère, Immaculata, qui tout en choisissant le nom de sa fille, malgré l’évidente contradiction entre cette étiquette linguistique et la couleur brune de sa peau, cherche à lui assigner une identité blanche et à la « libérer de son africanité[18] ». Profondément enracinée dans un espace identitaire interstitiel, Blanche subira toute intrusion de l’Autre comme une véritable violence synonyme même d’une crucifixion étant donné qu’elle affirme « Toi aussi tu m’as souvent crucifiée, Mama. Chaque fois que tu disais : « Ça, tu ne peux pas le faire, n’oublie pas que tu es blanche[19] ». Confrontée à l’impératif de s’installer dans une catégorie et de camoufler les signes de l’hésitation biologique et culturelle, Blanche vivra, dans une première étape, sa condition métisse comme une sorte d’aporie identitaire. :
Je savais, parce que je l’avais si souvent attendue, cette question gênante, que suivrait l’injonction à révéler mon origine, non pas ma race comme certains disaient encore, parce qu’il aurait fallu être sot pour ignorer ma peau exactement entre le noir et le blanc, mes cheveux clairs, légèrement crépus, pour savoir où me situer, à la frontière entre l’Europe et l’Afrique[20].
Cette injonction à dévoiler l’origine, non pas la race, étant donné que la peau révèle le mélange, la porosité des frontières biologiques, dénonce l’actualisation de la hantise de se fixer, malgré l’incontestable fluidité somatique, dans une catégorie identitaire irréductible. Si dans les cas des discours anthropologiques du XIXe et du début du XXe siècle on avait pu constater l’existence de cet impératif de matérialisation de la différence raciale inscrite au niveau de la dimension somatique (il fallait que la peau réussît à dénoncer sans équivoque la race), cette fois-ci, il s’agit d’un désir de mettre entre parenthèses la biologie qui atteste le métissage (la peau « entre le noir et le blanc[21] »), pour installer le sujet dans une rassurante catégorie ethno-culturelle (« révéler mon origine[22] »). La peau restera l’indice somatique de la transgression, à la fois biologique et culturelle, alors que le nom choisi par Immaculata pour sa fille, Blanche, semble mettre entre parenthèses cet irréfutable indice de l’hésitation raciale, en projetant l’enfant dans la catégorie de l’Occidentale à la peau « blanche » :
C’est moi qui avais choisi le prénom de Blanche, ce qui avait fait rire Antoine : « Elle ne l’est qu’à moitié, tu crois qu’avec cette appellation elle le sera un peu plus ? » Mais il avait cédé, reconnaissant que c’était un joli prénom et qu’il ne voyait pas pourquoi en priver sa fille sous prétexte qu’elle était brune de peau[23].
Finalement, être « brune de peau[24] » et porter le nom Blanche, c’est incarner le paradoxe du corps métis : matérialiser la fluidité corporelle qui démantèle le système fondé sur la taxinomie raciale, donc s’identifier à travers cette transgression somatique actualisée sur le plan biologique. Toutefois, ce trouble dans la race installé par le corps métis semble être camouflé, sinon annulé, par le figement identitaire indiqué par le nom ayant une fonction performative. Pour Immaculata, nommer sa fille Blanche signifie choisir de rendre le corps invisible pour l’identifier à travers les catégories que sa fille métisse avait dû rendre inopérantes. D’ailleurs, c’est Blanche qui finira par désamorcer cette condition paradoxale alimentant les inquiétudes de la communauté bordelaise – une communauté à la recherche des points de suture entre le nom et l’identité référentielle du métis désemparant. Elle le fera en changeant son nom, en optant pour le nom Barbara, ce qui lui permettra de préserver la cohérence référentielle : « Quand je suis arrivée à Bordeaux, j’ai réalisé combien les gens trouvaient étrange que ce qu’ils considéraient comme une Noire puisse se prénommer Blanche, alors je me suis fait appeler Barbara[25] ».
D’autre part, la mère de Blanche, Immaculata, ne cessera d’osciller entre injonction à assigner la catégorie « blanche » à sa fille (ce qui, finalement, révèle la même fluidité des frontières que la protagoniste semble franchir selon son gré) et les mises en garde contre les dangers de cette transgression. Confrontée au malaise de Blanche à allaiter son enfant, Stokely, elle explique cette situation par la même transgression somatique qui serait cette fois-ci vécue (toujours au niveau de la dimension biologique) comme une sorte de déviation, une pathologie sanctionnant la violation de l’interdit racial :
Peut-être risquais-tu aussi de me signifier que c’était parce que j’étais devenue trop blanche ici, que chez nous tu n’avais jamais entendu parler d’une femme ne parvenant pas à nourrir son enfant, me renvoyant une fois de plus à ce corps étranger, à ma différence vers laquelle tu avais tout fait pour me repousser durant mon enfance[26].
C’est la même instabilité de la peau du métis qui semble permettre au mari de Blanche, Samora, de démarrer un processus performatif de construction identitaire, démarche placée sous le signe de l’autoexotisme, un exotisme prétendument choisi, mais qui est, en fait, sous-tendu par les mêmes mécanismes normativisants cautionnant la dichotomie colonisé/colonisateur :
Ce n’est qu’une fois atteint l’âge adulte qu’il a changé de couleur, ou du moins accepté celle qu’on lui avait toujours assignée. Il disait avoir eu une épiphanie en arrivant en ville, à Bordeaux, où il avait eu accès aux textes de Césaire et Fanon pour la première fois. C’est moi qui ai choisi ma condition, oui, pas les autres qui me l’ont imposée, aime-t-il encore à répéter. Je le laisse parler, si ça peut l’aider de voir les choses ainsi…[27]
En revendiquant la liberté de ce choix identitaire, Samora ne fait en réalité que se construire une identité de papier, régie par l’intertextualité, en actualisant le réseau des textes fondamentaux d’une littérature sous-tendue par une permanente quête des stratégies d’affirmation identitaire. Il renforcera ainsi les frontières catégorielles prédéterminées et fictionnelles, en réitérant inconsciemment la même violence que le regard des Autres avait infligée au Sujet métis tout au long du roman. Samora, fils d’un Martiniquais qu’il n’avait jamais connu, prétend se forger librement son identité, processus qui démarre, tout comme dans le cas de Blanche, par le changement de son nom, étant donné que « C’est faute d’avoir retrouvé ses origines noires que Samora a décidé de changer de prénom, il a choisi celui-là en hommage au leader de l’indépendance du Mozambique[28] ». Il se crée donc cette identité fondée sur un personnage-symbole pour camoufler l’absence d’un père qui aurait pu lui conférer la légitimité et les particularismes individualisants capables de dénoncer la dimension stéréotypée de l’(auto)exotisme[29].
C’est son fils, Stokely, incarnant toujours le sujet métis qui reviendra sur cette condition métisse et sur celle de ses prédécesseurs pour la théoriser, pour s’en emparer à travers un discours autoréflexif. Stokely va assumer la tâche d’écrire l’histoire du génocide dont sa famille a été victime. C’est pour lui confier cette histoire que sa grand-mère Immaculata décide de sortir du mutisme dans lequel elle s’était enfoncée après la mort de son fils, Bosco. C’est toujours Stokely qui va poser un regard critique sur l’exotisme arboré par son père, en finissant par dénoncer l’artificialité et la vacuité se cachant derrière cette identité ̶- objet de propagande forgé selon les stratégies du regard colonial :
Papa, lui, s’est toujours réfugié derrière son identité choisie, mais c’est comme un costume de papier que la première pluie peut emporter. Il porte sa peau comme un étendard, la dégaine pour un oui pour un non. Mais si on en soulevait un coin, je crois qu’on ne trouverait dessous ni chair ni os mais un vide blanc, effrayant. Aujourd’hui, je vois qu’il surfe sur la vague des politiques qui veulent afficher un homme de couleur sur leur photo de campagne, il s’est fait le porte-parole de la mémoire de l’esclavage dans une ville qui a si longtemps caché son passé négrier, parfois il se sert même de ton histoire « la grand-mère de mon fils est survivante du génocide » pour augmenter son poids de souffrance. Je le trouve petit. Papa a un vrai problème de légitimité[30].
On ne pourrait s’empêcher de se demander si ce « vide blanc » exposé par le regard de Stokely derrière la permanente reconfiguration du masque métis de son père, ne pourrait-il pas être interprété comme une stratégie de subjectivation et de production d’une identité blanche. Il s’agirait, donc, d’une actualisation de ce rapport « peau noir » / « masques blancs » tel qu’il est théorisé par Frantz Fanon dans le célèbre livre[31] paru en 1952 ?
Pour Stokely, celui qui semble satisfaire les aspirations d’ « une descendance toujours plus diluée[32] », celui qui aime la musique des Blancs même si ses parents avaient déployés des efforts considérables pour lui inoculer le goût du rythme et de la musique des îles, « porter sa peau comme un étendard[33]» signifie actualiser une idéologie qui remonte aux discours des anthropologues et des ethnographes des siècles passés, cherchant à réduire le métis à une condition biologique facilement assimilable par la taxinomie raciale. C’est bien cette vision réductrice qu’il va mettre à nu, en évoquant cette même problématique de la peau et du regard posé sur la peau, sur sa peau, lors d’un épisode déroulé à l’école :
Hier, les filles de ma classe ont passé la récré à mettre leurs mains dans mon afro en disant : « C’est doux, c’est comme de la laine de mouton, ou de l’angora ! » Il y a un autre métis dans le lycée, il s’appelle Ruben. On nous confond toujours. Il est petit, le nez épaté et les cheveux longs et lisses comme un Indien, c’est le contraire de moi, mais la peau, la peau, c’est tout ce que les autres voient. Ça ne me met pas en colère, et si je n’avais pas eu les parents que j’ai eus j’aurais trouvé ça normal, mais maintenant je remarque tout et chaque fois c’est comme une écharde en dedans, une microcoupure invisible aux yeux du monde. Comme ce que fait ma maladie quand on a une hémorragie interne, quand on ne prend pas ses coagulants[34].
Le regard des Autres cherchant désespérément à réduire Stokely, l’inclassable métis, à une surface épidermique, tout en mettant entre parenthèses le reste de ses caractéristiques particulières, va créer une sorte de catégorie du métis-hypéronyme, une catégorie transparente, dessubstantialisée, vidée de son contenu identitaire spécifique et remplacé par une sorte de référent homogène unique. C’est en raison de cette transparence identitaire que la catégorie métisse finit par englober autant « les cheveux longs et lisses[35] » de Ruben que Stokely et son « afro[36] ». Stokely va ressentir le regard de ses collègues comme « une écharde en dedans[37] », en infligeant une « microcoupure invisible[38] », opérant donc avec la même et traditionnelle violence des discours qui se sont emparés du sujet métis pour le normativiser, pour le transformer dans un personnage fictionnel stéréotypé. La microcoupure est celle qui va interrompre le continuum interstitiel[39] enraciné dans le modèle de créolisation (selon les valences dont Édouard Glissant investit cette notion qu’il explique sous la forme suivante : « le monde se créolise, c’est-à-dire que les cultures mises en contact de manière foudroyante et absolument consciente aujourd’hui les unes avec les autres se changent en s’échangeant à travers des heurts irrémissibles[40] »). Dans le roman de Beata Umubyeyi Mairesse, ce paradigme qui implique l’investissement du monde d’un principe de continuité et d’une dynamique permettant le permanent réaménagement de la réalité qui retrouverait de la sorte une nouvelle forme d’unité, est essentiel. Réparer le monde anéanti par le génocide, renouer ses fils dispersés, remailler les trous et les déchirures violentes, tout cela devient possible grâce à ce continuum interstitiel que le modèle de métissage nous dévoile.
Quant à la violence de la microcoupure, elle va être dénoncée par Blanche qui, tout en analysant le statut de son mari Samora et ses efforts infructueux d’intégration, finira par réaliser une cartographie de la condition métisse :
En réalité, il ne peut véritablement être ni l’un ni l’autre, et c’est là tout son drame. Il fait partie de ces gens qui pensent que la vie se trace uniquement avec des lignes et des angles droits, ignorant toute la latitude qu’offrent les courbes, les renflements cachés, les bulles qui prennent la tangente, feignant de ne pas voir la monotonie atroce des parallèles. Comme si les métis pouvaient jamais choisir entre blanc et noir, comme si un enfant pouvait jamais n’être que la mère ou le père. Même parti, même absent, ou peut-être surtout quand il s’est évanoui dans la nature, sa couleur nous colle à la peau. Son absence nous marque le front, nous écorche de l’intérieur, créant dans notre corps un flux tourmenté de sang mêlé. Ce sont les autres, ceux qui croient avoir le luxe d’être monochromes, d’être indivisibles, fondus dans la masse rassurante de leurs semblables, qui nous somment de choisir, nous assignent, nous crucifient[41].
La crucifixion serait donc synonyme de la violence du choix imposé à celui qui ne peut se penser que dans l’entre-deux, par l’intermédiaire des « courbes, les renflements cachés, les bulles qui prennent la tangente[42] », c’est-à-dire dans cet espace interstitiel évoquant le « tiers-espace[43] » d’Homi Bhabha. L’espace interstitiel sera envisagé comme un continuum où les identités existent à travers un processus de contagion et reformulation permanente, correspondant parfaitement à ce « un flux tourmenté[44] » évoqué par l’écrivaine. Tout en refusant le figement dans une identité unique qui cautionnerait la taxinomie raciale et le paradigme binaire, la pensée du « flux tourmenté[45] » s’apparente à celle du « tourbillon[46] » proposée par Édouard Glissant et explicitée sous la forme suivante : « vous tournez la parole non plus comme un fil mais comme un tourbillon, et avec tout ce vent et toute cette fumu peut-des lignes et des angleun cyclone qui débâcle sans déraciner, et là vraiment vous imaginez le monde alentour[47] ». Cette pensée qui « débâcle sans déraciner[48] » est celle qui, tout en refusant la linéarité et l’univocité, plonge dans le « Tout-monde », cet univers qui «change et perdure en échangeant[49] » sous-tendu par une poétique et politique de la « Relation [50]».
Envisager le monde comme un « flux tourmenté[51] » rend possible non pas seulement la pensée de la fluidité corporelle, mais surtout celle d’une fluidité obtenue par un véritable remaillage cognitif et somatique, résultat des violences répétées infligées au Sujet métis, qui réussit ainsi à se penser/projeter autant au niveau de la dimension biologique, qu’à celui de la dimension culturelle. On va proposer cette notion de « remaillage cognitif », en l’envisageant comme possibilité de mettre ensemble des catégories contradictoires (sur le plan epistémique), en courtcircuitant (les fausses) distances qui les séparent, mise ensemble qui n’est pas réalisée à travers un processus dépourvu de violence et qui, pour pouvoir produire ses effets dans le réel (pour rendre donc possible la fluidité du corps métis), doit être fondée sur un acte répétitif. Si le monde est déchiqueté par la violence de la pensée qui opère le découpage catégoriel dans la chair vivante de la réalité et par les événements historiques, Beata Umubyeyi Mairesse parle de « l’art de détricoter son existence[52] », art qui s’appuie sur la possibilité de rompre la linéarité textuelle et surtout ontologique : « On se trompe, on recommence. (…) Tu vois, si la vie pouvait être comme un tricot, on aurait l’assurance de pouvoir défaire les mailles actives juste en tirant sur un fil, tsss, juste en tirant sur un fil. Revenir en arrière pour en découdre avec ses erreurs et reprendre en main la trame de son histoire[53]. » Défaire et retricoter les mailles de la réalité est un indice de l’instabilité et de la fluidité d’un monde dont la continuité foncière est affirmée à travers cet acte de réconfiguration permanente à travers lequel on actualise ses latences multiples.
D’ailleurs les multiples occurences des métaphores du fillage qui traversent et structurent le texte de Beata Umubyeyi Mairesse sont bien la preuve de l’importance de ce dispositif, puisque le remaillage devient à la fois un dispositif identitaire, corporel et textuel, participant à la production performative de l’intelligibilité du monde. Comme on l’a déjà affirmé, Virginie Brinker et Elsa Costero analysent le roman de Beata en termes de transition « du texte-suture au texte comme métier à tisser[54] », en soulignant le rôle de l’écriture et de la lecture qui « tissent des liens entre des continents, des époques, des générations, des êtres, constituent une façon salvatrice de voir le monde, de le représenter pour panser les plaies[55] ». En effet, créer des liens par le tissage textuel est une technique tout à fait nécessaire dans ce monde déchiqueté par le génocide et défiguré par la violence. C’est dans ce monde qui nous est dévoilé par le roman Tous tes enfants dispersés, un monde foncièrement placé sous le signe de la dispersion, la déchirure, la défiguration opérée le génocide, que le dispositif du tissage devient nécessaire en raison de sa capacité à suturer les tissus déchiré. C’est grâce à ce dispositif qu’on réussira à rematérialiser et à investir de cohérence les mailles d’une réalité préalablement anéantie étant donné que, selon les propos de Blanche, « notre nation avait été déchiquetée, il lui faudrait une ou deux générations pour se recoudre[56] ».
La condition de ce monde en proie à la dispersion (tel qu’elle est déjà préfigurée dans le titre) est actualisée à travers toute une série d’images qui jalonnent le texte de Beata Umubyeyi Mairesse. La voix qui sort de silence pour raconter le génocide en revenant au Rwanda se demande : « n’est-ce pas pour cela que j’étais revenue ici, pour tisser une virgule entre hier et demain et retrouver le fil de ma vie ? [57]». Elle annonce les « retrouvailles de cœurs en lambeaux[58] », en hésitant toutefois quant à sa force de rassembler la texture de « [c]e qui avait été déchiqueté. Je n’étais pas sûre d’avoir la force de reconstituer la relation avec toi après trois longues années de silence entrecoupées de conversations téléphoniques maladroites et de courtes lettres sibyllines[59] ». Blanche serait donc censée court-circuiter la chronologie (« tisser une virgule entre demain et hier[60] », réorganiser les temporalités pour pouvoir pallier la déchirure ontologique infligée par la violence de l’Histoire, à condition de trouver les outils nécessaires afin de suturer « les cœurs en lambeaux[61] ». Si les « lettres sibyllines[62] » échangées entre la mère restée au Rwanda et la fille installée à Bordeaux ne réussissent pas à assurer ce remaillage de la texture du monde, c’est peut-être parce que les mots mêmes, ces mots que la mère refusera en choisissant de se renfermer dans le mutisme, ne font qu’introduire des coupures violentes dans la chair vibrante du monde. C’est toujours Blanche qui dénoncera leur agressivité sous la forme suivante : « Les mots peuvent être tranchants ou s’enfoncer brutalement en nous comme des lances, nous écraser tels les gourdins cloutés que les tueurs utilisaient pour défoncer les crânes des nôtres au printemps[63] ».
Toutes ces images qui gravitent autour du processus de reconstruction de la texture de la réalité sont également subtilement liées aux représentations de la condition du métissage du sujet postcolonial. Si nous avons déjà affirmé que ce type de personnage fera indirectement appel aux instruments épistémiques fournis par ce que nous avons désigné comme une « esthétique du remaillage », pour pouvoir penser son statut (des outils propres à cette démarche thérapeutique visant à apaiser les blessures d’un monde déchiré par le génocide), ce sera parce que dans les deux cas, le processus de reconfiguration-texturalisation semble être centré autour d’une certaine manière de s’approprier la langue : le bilinguisme. On affirmera la légitimité de l’hybridité linguistique libérée du modèle cartésien et revendiquant l’autonomie d’une langue et d’un individu définis à travers leur capacité d’« habiter une frontière[64] ».
En fait, les personnages de ce roman entretiennent un rapport biaisé avec la langue maternelle. Dans le cas de Blanche, il s’agit, dans une première étape, d’un accès refusé à cette langue, refus paradoxal étant donné qu’il vient de la part de sa mère, Immaculata, qui, pour « libérer sa fille de son africanité elle lui tressa une échelle de mots bien blancs. Dès sa naissance, elle plongea sa fille dans un bain de français, ne se laissant jamais aller au moindre écart indigène.[65] ». Les efforts d’Immaculata de construire une identité blanche pour sa fille à travers cette réalité linguistique de l’« échelle des mots bien blancs[66] » vont engendrer un tiraillement identitaire de Blanche qui hésitera constamment entre le français, « une chose délicieuse, solitaire, et un corset public ridicule et prétentieux [67] » et la langue de sa mère qui lui permettrait d’explorer les couches les plus intimes de son être: « sa colonne vertébrale, celle dans laquelle s’exprimaient les chagrins, se taisaient les secrets[68] ». C’est toujours Blanche qui, dans ses efforts de s’approprier la langue maternelle et de comprendre le monde environnant à travers cette grille linguistique, va dénoncer une certaine incapacité de cette langue à traduire les réalités du monde occidental. La traduction déficitaire réalisée par Blanche pour expliquer à Stokely le monde qui l’entoure en langue maternelle, démontre l’échec de cette démarche pédagogique et les défaillances d’une langue composée de « mots fantômes, des mots d’enfance endormis dans un jardin en friche qu’une pluie lointaine pourrait un jour ressusciter[69] ».
Ce sera grâce à Stokely et à son désir de s’exprimer dans la langue de sa grand-mère, Immaculata, que celle-ci réussira à renouer, à travers le mots de cette langue, avec la réalité d’un monde réduit au silence, donc, invisible. N’oublions pas qu’Immaculata s’était emmurée dans le silence après la mort de son fils Bosco et après avoir connu la violence du génocide perpétré contre les Tutsis, tout en refusant de parler une langue qui semble avoir rendu permis et cautionné les horreurs du massacre. Pour chacun des personnages, assumer un statut bilingue signifie avoir accès à un nouveau type de pensée, une pensée de la continuité, une pensée associée à des « paroles rhizomes[70] » à travers lesquelles il est possible de tisser des liens, les cultures et les catégories violemment séparées[71], en annulant les distances catégorielles instaurées par la logique oppositionnelle de la pensée binaire. On finit par instaurer à travers cette hybridité linguistique, un nouveau rapport au monde. Stokely, le métis de troisième génération « qui est né avec un frein à la langue[72] » (expression d’un blocage communicationnel et d’une amputation identitaire à laquelle il serait condamné à cause du monolinguisme forcé synonyme du rejet d’une partie de soi-même ) finira par accéder à sa condition authentique d’hybridité. Il s’agit de cette hybridité définie par Homi Bhabha comme un processus qui « donne naissance à quelque chose de différent, quelque chose de neuf, que l’on ne peut reconnaître, un nouveau terrain de négociation du sens et de la représentation[73] ». Stokely assumera son hybridité identitaire l’instant où il s’installera dans l’espace frontière du bilinguisme, car il « devra se voir offrir, sans honte et sans détour, deux habits amples et soyeux, pour traverser harmonieusement le Nord et le Sud de sa destinée[74]. » Ce sont les « habits amples et soyeux[75] » du bilinguisme (encore une fois, la métaphore des mots-texture est associée à l’hybridité identitaire) qui rendront possible l’apparition de ces « paroles rhizomes[76] », puisque Blanche nourrit « le secret espoir que la voix de ce petit-fils lui parlant avec les mots qu’elle avait autrefois enseignés à son fils Bosco aurait un effet de baume, paroles rhizomes, sur Immaculata [77]». Immaculata sortira du silence pour confier son histoire à Stokely, le seul à pouvoir assumer la tâche de raconter le génocide, de donner voix à ceux qui avaient plongé dans l’anonymat et dans le mutisme à cause de la violence des bourreaux qui avaient détruit leurs liens au monde, en niant leur humanité. C’est uniquement à travers un discours bilingue, actualisé à travers le dispositif de remaillage linguistique, que la voix d’Immaculata, inscrite dans le réseau collectif des voix de toute une communauté, accède à la visibilité.
Finalement, c’est à travers la voix de Blanche que la condition hybride sera définie par le bilinguisme synonyme d’une participation simultanée à deux sphères linguistiques :
Posséder complètement deux langues, c’est être hybride, porter en soi deux âmes, chacune drapée dans une étole de mots entrelacés, vêtement à revêtir en fonction du contexte et dont la coupe délimite l’étendue des sentiments à exprimer. Habiter deux mondes parallèles, riches chacun de trésors insoupçonnés des autres, mais aussi, constamment, habiter une frontière[78].
Être hybride signifie découvrir, dans les interstices de cet espace liminaire, espace frontière – le seul type d’espace qui rend possible cette découverte –, l’entrelacement ininterrompu des mots qui opèrent une reconfiguration des mailles d’un monde qui retrouve de la sorte une nouvelle cohérence. La cohérence du monde dont on a récupéré la fluidité.
[1] Alexandre Gefen, Réparer le monde. La littérature française face au XXIe siècle, Paris, Éditions José Corti, 2017.
[2] Virginie Brinker, Elsa Costero, « Gusama imitima, réparer les cœurs. Une lecture de Tous tes enfants dispersés », La Plume francophone, mis en ligne le 3 octobre 2019, consulté le 5 décembre 2023. URL: https://la-plume-francophone.com/2019/10/30/beata-umubyeyi-mairesse-tous-tes-enfants-disperses/.
[3] Nous utilisons le syntagme « mécanismes cognitifs » en nous plaçant dans le sillage des théories de Dan Sperber qui, tout en utilisant une perspective où se rencontrent sciences cognitives et sciences sociales, s’arrête sur les dispositifs mentaux qui fonctionnent comme autant stratégies qui rendent possible la production des représentations conceptuelles. C’est dans des études comme La contagion des idées, Le symbolisme en général ou « Pourquoi les animaux parfaits, les hybrides et les monstres sont-ils bons à penser symboliquement ? » que Dan Sperber analyse la manière dont ces mécanismes sont mis à l’œuvre pour interpréter et négocier notre rapport à la réalité environnante.
[4] Maurice Muret, Le Crépuscule des nations blanches, Paris, Payot, 1925, p. 70.
[5] Cette dénonciation d’une biologie instable remonte à Gobineau qui, en 1853, dans son célèbre texte, Essai sur l’inégalité des races, construit un discours sur la hiérarchisation raciale à partir du principe de la différence somatique et associe le métissage à la dégénérescence étant donné que l’élément ethnique s’en trouverait constamment dégradé, en ouvrant la voie vers la création d’une véritable pathologie.
[6] René Martial, « Étrangers et métis », Mercure de France, 50e année, no 990, 15 septembre-1er octobre 1939, p. 518.
[7] René Martial, Traité de l’immigration et de la greffe inter-raciale, Paris, Larose, 1931.
[8] Élie Faure, Les trois gouttes de sang, Paris, Malfère, 1929, p. 77.
[9] Ibid., N.P.
[10] Ibid., p. 51.
[11] Jean-Loup Amselle, Logiques métisses. Anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Paris, Payot, 1990.
[12] Ibid., p. 10.
[13] Jean-Loup Amselle, Branchements. Anthropologie de l’universalité des cultures, Paris, Flammarion, 2e éd. 2005 [2001].
[14] Édouard Glissant, Traité du tout-monde (Poétique IV), Paris, Gallimard, 1997.
[15] Homi Bhabha, Les Lieux de la Culture, une théorie postcoloniale, traduit de l’anglais par François Bouillot, Paris, Payot & Rivages, 2007 [1994].
[16] « Si l’hybridité est importante, ce n’est pas qu’elle permettrait de retrouver deux moments originels à partir desquels un troisième moment émergerait ; l’hybridité est plutôt pour moi le “tiers-espace” qui rend possible l’émergence d’autres positions. Ce tiers-espace vient perturber les histoires qui le constituent et établit de nouvelles structures d’autorité, de nouvelles initiatives politiques, qui échappent au sens commun », Homi K. Bhabha, Jonathan Rutherford, « Le tiers-espace », traduit de l’anglais par Christophe Degoutin et Jérôme Vidal, Multitudes, vol. no 26, no 3, 2006, p. 99, mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2006, consulté le 2 octobre 2023. DOI : 10.3917/mult.026.0095. URL : https://www.cairn.info/revue-multitudes-2006-3-page-95.htm.
[17] Beata Umubyeyi Mairesse, Tous tes enfants dispersés, Paris, Éditions Autrement, 2019, p.94.
[18] Ibid., p.148.
[19] Ibid., p. 104.
[20] Ibid., p.27.
[21] Idem.
[22] Idem.
[23]Ibid., p.74.
[24] Idem.
[25] Ibid., p.107.
[26] Ibid., p. 57.
[27] Ibid., p.103.
[28] Ibid., p.107.
[29] Dans son étude consacrée au phénomène de l’auto-exotisme, « Comme dans le ventre de sa maraître. Essai sur l’auto-exotisation », Michail Maiatschy le définit comme une forme paradoxale de liberté revendiquée « une façon de trouver une liberté dans une non-liberté » (« Comme dans le ventre de sa marâtre », Études de lettres [En ligne], no 2-3, 2009, mis en ligne le 15 septembre 2012, consulté le 02 mai 2024. URL : http://journals.openedition.org/edl/445), alors que Nicole Schon s’arrête sur L’auto-exotisme dans les littératures des Antilles françaises pour explorer autant l’intériorisation du regard stéréotypé de l’Autre dans les littératures antillaises, que les valences de ce comportement imitatif qui pourrait être rapproché de la notion de mimétisme subversif telle qu’elle est développée par Homi Bhabha.
[30] Ibid., p.215.
[31] Frantz Fanon, Peau noir, masques blancs, Paris, Seuil, 1952.
[32] Beata Umubyeyi Mairesse, op.cit., p.149.
[33] Ibid., p.215.
[34] Ibid., p.216.
[35] Idem.
[36] Idem.
[37] Idem.
[38] Idem.
[39] Nous utilisons ce syntagme en empruntant la perspective de Homi Bhabha qui définit les interstices comme un espace culturel et mental de l’entre-deux rendant possible l’élaboration d’une identité qui échapperait à la pensée dichotomique : « un terrain à l’élaboration de ces stratégies du soi – singulier ou commun – qui initient de nouveaux signes d’identité, et des sites innovants de collaboration et de contestation dans l’acte même de définir l’idée de société » (Homi Bhabha, Les Lieux de la Culture, une théorie postcoloniale, traduction de l’anglais par François Bouillot, Paris, Payot & Rivages 2007, p.30). Le continuum interstitiel correspondrait donc au permanent processus de configuration et de reconfiguration identitaire qui aboutirait à la production dynamique d’une identité multiple affranchie des contraintes des catégories.
[40] Édouard Glissant, Introduction à une poétique du divers, Paris, Gallimard, 1996, p.15.
[41] Beata Umubyeyi Mairesse, op.cit., p.103-104.
[42] Idem.
[43] Homi Bhabha souligne le rapport d’interdépendance entre les particularités de l’espace interstitiel et la production de ce réseau identitaire multiple et diffus : « Ces espaces “interstitiels” offrent un terrain à l’élaboration de ces stratégies du soi – singulier ou commun – qui initient de nouveaux signes d’identité, et des sites innovants de collaboration et de contestation dans l’acte même de définir l’idée de société ». (Homi Bhabha, op.cit., p.82.)
[44] Beata Umubyeyi Mairesse, op.cit., p.103-104.
[45] Idem.
[46] Édouard Glissant, Tout-monde, Paris, Gallimard, 1993, p. 21
[47] Idem.
[48] Idem.
[49] Édouard Glissant , Traité du Tout-monde. Poétique IV, Paris, Gallimard, 1997, p.176.
[50] La notion de « poétique de la relation » qui devient un des pivots théoriques de la démarche glisantienne, est parfaitement explicitée dans le texte publié en 1990, Poétique de la relation.
[51] Beata Umubyeyi Mairesse, op.cit., p.103-104.
[52] Ibid., p.43.
[53] Ibid., p. 44
[54] Virginie Brinker, Elsa Costero, art. cit.
[55] Idem.
[56] Beata Umubyeyi Mairesse, op.cit., p.52.
[57] Ibid., p.28.
[58] Ibid., p.32.
[59] Idem.
[60] Ibid., p.213.
[61] Ibid., p.32.
[62] Idem.
[63] Ibid., p.67.
[64]Ibid., P.151.
[65] Ibid., p. 148.
[66] Idem.
[67] Ibid., p.151.
[68] Idem.
[69] Ibid., p.158.
[70] Ibid., p.154.
[71] Ce paradigme de pensée correpond à la manière dont Édouard Glissant envisage le Tout-monde composé d’un réseau d’identité saisies en continuelle réconfiguration à la suite du processus de créolisation défini par Glissant comme « la mise en contact de plusieurs cultures ou au moins de plusieurs a suite du processus de créolisation défini par Glissant comme calur résultante une donnée nouvelle, totalement imprévisible par rapport à la somme ou à la simple synthèse de ces éléments » (Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, Poétique IV, Éditions Gallimard, 1997, p.37).
[72] Beata Umubyeyi Mairesse, op.cit., p.153.
[73] Homi K. Bhabha, Jonathan Rutherford, « Le tiers-espace », traduit de l’anglais par Christophe Degoutin et Jérôme Vidal, Multitudes, vol. no 26, no 3, 2006, p. 99, mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2006, consulté le 2 octobre 2023. DOI : 10.3917/mult.026.0095. URL : https://www.cairn.info/revue-multitudes-2006-3-page-95.htm.
[74] Idem.
[75] Idem.
[76] Ibid., p.154.
[77] Idem.
[78] Ibid., p.151
Bibliographie
- Corpus primaire
- Mairesse, Beata Umubyeyi, Tous tes enfants dispersés, Paris, Éditions Autrement, 2019.
- Corpus secondaire
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