Corps hybride et pouvoir de subversion chez Mohamed Leftah

Houdzi Ahmed Aziz
Université Cadi Ayyad, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Marrakech

Abstract

This article looks at the body and its representation in the novels of Mohamed Leftah, and more specifically in Hawa ou le chant du quartier (Leftah, 2010). In this walled-off brothel quarter, bodies move between opprobrium and glorification, oscillating between the desire for emancipation and the struggle against assimilation. Hybrid bodies bear multiple stigmas and vacillate between different normative orders. The body can be captured, both as a place where social and cultural changes can be read and where identity tensions and ideological quarrels are expressed.

Keywords: body, subversion, hybrid, Mohamed Leftah, transgression

 

Introduction

Cet article se propose d’examiner le corps et sa mise en récit dans la production romanesque de Mohamed Leftah et plus spécifiquement dans Hawa ou le chant du quartier Bousbir (Leftah, 2010). Dans ce quartier réservé qui se maintient entre le devoir de mémoire et l’injonction à l’oubli, les corps évoluent non seulement entre l’opprobre et la glorification, mais oscillent entre le désir d’émancipation et la lutte contre l’assimilation. Des corps hybrides porteurs de multiples stigmates et vacillant entre plusieurs ordres normatifs.

Nous tenterons de démontrer que le corps se laisse capter, à la fois comme lieu où se lisent les mutations sociales et culturelles et où se traduisent les crispations identitaires et les querelles idéologiques. Il se hisse en haut « lieu de signification » (Elmarsafy, 2011) et se présente comme matériau primordial de la création poétique.

En effet, en tant que support qui semble propice à incarner des processus d’hybridation, le corps convient particulièrement à illustrer les contours de nouvelles subjectivités. Dès lors, on se penchera sur cette hybridation susceptible de le traverser dans sa matérialité biologique et anatomique, mais qui est également en mesure de nous fournir des significations morales, sociales et culturelles qu’il cristallise en tant qu’objet.

Considérer le corps à travers le prisme de l’hybridation, nous inclinera à y prêter une attention particulière du point de vue de ses transformations morphologiques ou à partir de ses confrontations avec la machine et la technique(Haraway,2007). Mais aussi en tant qu’interface où se matérialisent les contraintes et les injonctions et se donnent à lire les transgressions et les débordements.

En effet, nous examinerons la capacité de l’hybridation à réactiver un imaginaire de monstres et de chimères (Halpern, 2020) et son pouvoir de déconstruire les divisions binaires et hiérarchiques qui président à la perception des corps. Dans cette perspective, on verra comment l’anthropocentrisme en tant catégorie structurante cèdera le pas au brouillage qui affecte les frontières entre humain et animal, humain et végétal (Schaefer, 2015), humain et minéral. De même que la domination phallocratique qui fonde la dichotomisation des corps selon des critères biologiques : masculin/ féminin, ou à partir de construit socioculturel du genre : homme/ femme, ou suivant des orientations sexuelles hétéro/ homo (Dorlin, 2008), se trouvera fragilisée. Il faudrait probablement ajouter qu’en plus d’invalider la différenciation entre « corps /âme, matière/esprit, émotion/raison » (Marzano, 2016) l’hybridation aura le mérite de nous ouvrir la voie à de nouvelles manières de figurer le corps

 

Subversion et resignification des représentations du corps

Dans les romans de Mohamed Leftah, le corps est soumis à toutes les transformations. Il incarne le lieu d’un travail d’imagination indissociable de l’hybridation. En tant que repère primordial d’identification, il fonctionne comme une assise sur laquelle se dessinent les revendications identitaires et à partir de laquelle s’énoncent les désirs de singularité. Il se présente comme un point nodal non seulement pour explorer certaines normes et sonder leurs fondements constitutifs, mais aussi, et surtout pour donner à voir les sens qu’il évoque, les métaphores qu’il charrie et les jeux sémantiques et rhétoriques qu’il suscite.

Ce qu’il faudrait souligner d’emblée, c’est que le corps épouse sa vocation multidimensionnelle et se déploie pour ainsi dire, tout le temps ou presque, en décalage avec les attentes normatives qui régulent le monde dans lequel il advient. Ce faisant, il s’exhibe tour à tour dans sa formation et sa déformation selon des configurations textuelles et des montages langagiers puisés dans l’imaginaire du scripteur.

Pour Pierre Bourdieu « Le corps fonctionne comme un langage par lequel on est parlé plutôt qu’on parle. » (Bourdieu, 1977,p.54) Cette expressivité consubstantielle au corps retrouve dans le texte leftahien des résonnances particulières. Elle s’énonce comme une sorte de « réparation poétique » qui suspend tout jugement moral et invite à voir autrement le sordide. Plus encore, le processus de transfiguration dans lequel la plume de l’auteur engage ces créatures les hisse en pure forme esthétique. Hassan Wahbi estime que « les textes de Leftah mettent le lecteur dans un moment où les défenses tombent, en d’autres termes, le registre scatologique passe par une ambivalence qui apprivoise ce monde souterrain décrit et en fait une substance pleine, vivante. »

Que ce soit dans la fougue des combats ou dans la fièvre des ébats charnels, les corps s’offrent au regard à travers les mots. Les corps écrits chez Leftah sont des corps en mouvement. Ils s’étirent, se contorsionnent, s’élancent, s’entrechoquent, se frottent, et s’enlacent. Des corps qui luttent contre le corset normatif dans lequel leurs destins semblent les induire. Des corps en transe, qui tournoient, mutent et empruntent d’autres apparences. Des corps qui s’agglutinent pour donner naissance, ne serait-ce que sur le plan imaginaire, à d’autres corporéités, et corollairement impliquent la mise à nu de certaines vérités sur le corps. Pour Ziad Elmarsafy « le texte Leftahien est un texte où le corps parle pour “exprimer” sa vérité, aussi difficile ou inacceptable qu’elle puisse être. » (Elmarsafy,2011, p.77)

 

Le corps stigmatisé 

Dans la fiction de Mohamed Leftah, le corps stigmatisé occupe une place importante. C’est un corps qui affiche la marque de sa différence. Une différence qui, bien qu’elle réfère à un monde frappé socialement de discrédit, demeure ambivalente. Dès son premier roman Demoiselles de Numidie,(Leftah,1992), le lecteur se trouve convié à découvrir la vie des personnages qui évoluent dans un monde de côté. Celui de la marge présentée comme le lieu de tous les bouleversements. Un lieu où se côtoient liberté et domination, amour et violence, pouvoir et insoumission, licence et retenue.  Un univers où tout « se confondait et se mêlait, où la perdition elle-même prenait un visage d’innocence. » (Ibid., p.99)

Le stigmate y est présenté autrement que comme sa charge négative. Cette marque corporelle censée avilir l’être en le reléguant d’un ordre vers un autre moins prestigieux opère comme un trait distinctif, un blason d’une communauté « imaginée » évoluant dans un monde souterrain. Si les corps marqués par l’estampe de l’infamie sont légion chez Leftah, il n’en demeure pas moins vrai qu’une telle marque laisse saillir ses porteuses dans la trame narrative comme des êtres choisis. Il s’agit d’une véritable sublimation poétique à l’issue de laquelle le stigmate qui paraphe la chair et indique sa déviance se transforme, grâce aux artifices de la littérature en un ressort d’exaltation, voire un signe qui appelle le chant et la célébration de ses porteuses. Cette inversion du regard, à laquelle nous convie l’auteur, fait du corps un véritable lieu d’investissement symbolique où se matérialisent des enjeux poétiques, esthétiques, éthiques et politiques.

 

Retournement et réappropriation du stigmate

Il importe de noter qu’une telle marque exclut ses porteuses de la normalité sociale, en même temps qu’elle les inclut dans un nouvel ordre, celui des « filles-cicatrices ». C’est-à-dire que celles-ci délaissent tout l’arsenal normatif qui gère jusque-là leur conduite, pour s’inscrire prestement dans un nouvel ordre dont elles vont intégrer consciencieusement les normes et les règles. Le mot cicatrice « est à la fois marque dans la chair et signe d’appartenance à un ordre. » Cette nouvelle appartenance est rythmée par des codes et des lois qui renvoient à un « ordre rigoureux, immuable, à l’image de celui qui règle le mouvement des planètes »(Ibid.,p.14) dont tout manquement ou toute transgression est passible de châtiment.

Par l’empreinte apposée sur son corps, la fille marque sa filiation à l’ordre de la nuit. Elle cède l’exploitation de son corps à cet entremetteur, qui veillera à le protéger et à le faire mettre à l’encan dans ce monde parallèle. Leftah souligne que « par la cicatrice lors d’une cérémonie rituelle, initiatique, il devait tracer comme une marque d’appropriation sur le corps de la nouvelle fille promue à la dignité de fille-fleur »

Il urge de souligner que ces êtres ne sont pas le fruit d’une quelconque fantasmagorie, mais ils réfèrent bel et bien à une réalité. Une réalité que le littérateur s’évertua à assainir, pour que le lecteur n’en retienne que l’expérience d’esthétisation que les mots de l’auteur ont tenté d’opérer. À ce titre, le narrateur-scripteur précise toute la portée référentielle de cette désignation avec laquelle il a tenté de se saisir de ces destins de la marge.

« L’expression : Filles-cicatrices » n’est pas de mon invention. Ces filles au corps marqué par les cicatrices, traces de coups de couteau, existent bel et bien, ainsi que l’expression qui les désigne. Dans la majorité des cas, ce sont des filles laides, terriblement vulgaires, et qui ont connu la faim, les coups, le viol : la prison. Et les macs.(Leftah, 1992,p.113).

Pour faire ressortir toute la portée symbolique de ce processus d’assujettissement, à l’issue duquel des corps franchissent la ligne limitrophe entre normalité et anormalité, Leftah rappelle que les filles-cicatrices se condamnent à une condition dont elles ne peuvent se départir que par l’élimination de celui qui les a marquées. En devenant des prostitués à la solde d’un mac, ces différentes créatures se soumettent à leurs macs et lui concèdent le droit sur leur corps et du même coup, celles-ci se trouvent en mesure de se révolter, de refuser cet ordre et pourraient toujours essayer de s’en libérer. Cette dialectique amoureuse qui s’apparente à celle sur laquelle repose la relation du maître et du serviteur, se déploie ici sur le terrain de l’affect. Ainsi amour et violence figurent comme le recto et le verso d’une même réalité. Cette contiguïté de l’amour et de la mort s’affiche comme deux pulsions « éros et thanatos » qui régissent le vécu de ces personnages.

Par ailleurs, il faudrait noter que ces figures ne se distinguent pas uniquement par la cicatrice qui signe leur « parchemin épidermique » (Chebel,2013,p.175), mais également par les « noms de guerre » (Leftah,2006,p.76) qu’elles portent. Ces créatures brouillent les frontières entre les différents ordres. En plus de l’indécidabilité qui caractérise leur statut « prédateur et proie »(Leftah,1992,p.13), exclues de la société et incluses dans un nouvel ordre, elles intriguent par les noms qu’elles portent.

 Nous distinguerons ainsi les suivantes aux noms de fleurs : Yasmine, Massc Allil, Ftah Azhar (on peut peut-être inclure dans ce bouquet cette fille au nom de fruit : Touffaha, Pomme). Viendraient ensuite les filles amenées d’îles lointaines, le long de routes maritimes et terrestres que la chronique confondra en un seul nom générique, enchanteur la route des épices. Krounfoull ne se rappelle plus depuis combien d’années on lui a fait emprunter cette route, donné ce nom d’aromate, Clou de girofle. Yacout et Zoumourrod, quant à elles, ne se posent même plus la question de leur origine et de leur nomination. Elles se contentent de chatoyer de tout leur éclat, en pierres précieuses, Perle et Émeraude, qu’elles sont devenues.(Leftah,2006, p.76)

Ces noms, s’ils relient celles qui les portent, par leur dimension métaphorique, poétique et symbolique, à des catégories autres qu’humain, ils permettent tout autant de fondre, au sein d’un même être les lignes séparatrices entre différentes catégories. Ce phytomorphisme, qu’implique la nomination, permet à l’auteur de déplacer la frontière entre le beau et le laid, et dans le même élan procéder à un renversement de valeur, dans la mesure où le motif floral par sa valeur positive vient étouffer la condition sordide de sa porteuse. Ce même constat pourrait s’appliquer à ces filles qui se transforment par le biais de l’onomastique en pierres précieuses : « Émeraude et Perle, Zoumourrod et Yacout ». Elles attestent le passage de l’ignominie à la célébration de soi et rappellent la quête poétique qui anime l’auteur. À ce propos, on peut lire : « Les noms de ces fleurs, puisqu’en fleurs j’ai voulu les métamorphoser, je n’ai pas eu de peine à les trouver, les en parer, dans ma langue numide. Maternelle.» (Leftah, 1992,p.114)

 

Les stigmates de la bâtardise ou l’éloge de l’impur

En plus de ces stigmates qui marquent la chair des sujets mis en texte, Mohamed Leftah donne à voir d’autres stigmates susceptibles de faire glisser des sujets d’un ordre à un autre, d’un système de valeur à un autre. Il s’agit de stigmates relatifs à la génétique. Ce sont des caractéristiques phénotypiques qui vont faire passer deux enfants de l’incarnation de l’innocence à l’emblème de l’infamie. Il s’agit de Hawa et de Mahboub, alias Zapata, ces deux jumeaux se distinguent de la communauté à laquelle ils appartiennent par des traits physiques qui ne sont que les stigmates de leur bâtardise. Fruits de l’amour, aux yeux de leur mère (d’où leurs noms), ils sont synonymes du péché aux yeux de la bien-pensance. Il importe de souligner que ces deux personnages sont la parfaite illustration de l’être hybride, absence d’origine due à leur bâtardise, mais en même temps la cumulation des traces de l’ici et celles de l’ailleurs.

Alors qu’elle était encore enfant, une camarade de jeu lui avait expliqué que les cheveux jaune paille de son frère jumeau, Zapata, ainsi que la couleur bleu clair de ses yeux, signaient sa bâtardise ; leur bâtardise : la bâtardise dise commune. C’est ce jour-là que le khôl de la haine illumina la pupille de Hawa et aiguisa telle une lame son regard. Depuis lors, la bande écarlate qui ceignait son front était devenue comme un signe de reconnaissance, un blason, une oriflamme éclatante qui la distinguait parmi toutes les autres jeunes filles du Quartier Boussbir, quartier fameux entre tous de l’ancienne médina de Casablanca.(Leftah,2010,p.10)

Sans doute faudrait-il souligner que parmi les synonymes du mot hybride on peut distinguer la figure du bâtard. Il réfère selon le TLFI à celui « qui n’est pas de race pure. Synonyme. Métis, hybride ». Les deux jumeaux sont issus d’une relation tarifée. Leur mère Warda dans la fleur de l’âge avait fait la rencontre de l’un de ces soldats américains qui se sont déversés sur le quartier Bousbir à la recherche du plaisir de la chair pendant le débarquement américain à Casablanca. Les deux protagonistes portent à même leur chair cette part de l’ailleurs. Car :

C’est de ces accouplements, peut-être de l’un de ceux où son partenaire anonyme, ivre et impatient, la prit debout au seuil de la maison où elle officiait, que l’une des plus belles prostituées, l’une des vestales inspirées qui donnaient au flamboiement du désir, suivi de celui du plaisir, leur éclat le plus intense, conçut le couple de jumeaux. Elle portait le nom de la rose en arabe : Warda. Le garçon né du ventre, de la corolle de cette rose, était en train de fournir un nouveau prétexte à chanter à la fille née du même ventre fleuri.(Leftah,2010,p.15) 

En plus de l’origine composite des jumeaux, ce qui retient l’attention dans cette citation est l’imagerie végétale à laquelle recourt le narrateur scripteur pour mettre en mot le corps de Warda. Cette association entre corps et codes onomastiques se présente comme un levier d’hybridation très fertile dans l’œuvre de Mohamed Leftah.

Pour revenir aux circonstances à l’origine de cet engendrement qui :

 De ce printemps de guerre, mais où toutes les sèves de la vie, tous les sortilèges du désir, toute la somptuosité des chairs emmêlées au-delà de la dissemblance des mots et la discorde des patries, semblaient avoir convergé, Warda était sortie fertile ; doublement fertile. Neuf mois après, elle mettait au monde, par une journée d’un hiver glacial, des jumeaux. Des enfants du péché, des bâtards, wlad lahram, c’est de cette expression méprisante et insultante, pensa-t-elle, partagée entre l’horreur et la pitié, qu’ils seraient désignés, ou, plus explicitement : wlad Imiricane, les enfants des Américains.(Ibid.,pp:28-29)  

Dans le parcours de ces deux protagonistes, le stigmate ne se présente pas comme le signe d’une relégation dans la hiérarchie sociale, il est le ressort de leur défi, le mobilisateur de leur haine à l’encontre de cet ordre et de ses socles moraux et moralisants. Leur attitude peut être saisie sous le signe de ce qu’on pourrait tenir pour un renversement du stigmate. En effet, au lieu d’être le prétexte d’une dégradation de soi, leur bâtardise se déploie ici comme un signe d’élection. Loin de vouer ses protagonistes aux gémonies, une telle marque devient une source de fierté, une raison pour s’affranchir de tous les ordres normatifs. Ce bouleversement est suggéré dans le texte par le télescopage opéré entre leur destin et celui de grandes figures littéraires.

En effet, ce qui est censé être dégradant va passer pour le lieu d’une identité assumée et revendiquée. Michel Wieviorka constate que c’est « la meilleure réponse à la disqualification qui impute une différence synonyme d’infériorité. Ce sens retrouvé peut d’ailleurs procéder d’un renversement du stigmate, d’une ré-appropriation de la différence disqualifiée, mais sur un mode positif. »(Wieviorka, 2001,pp.155-156)

C’est ce que traduisent d’une manière plus claire les mots de Warda lorsqu’elle s’adresse à ses enfants. Celle-ci explique que sa tolérance de la relation incestueuse entre Hawa et son frère Zapata traduit toute sa haine envers le monde dans lequel elle évolue et où conformisme et hypocrisie semblent faire bon ménage.

Non, non, détrompe-toi, ma fille, ce que ton cœur sans malice appelle dévouement et abnégation, en réalité je te le dis, ce n’est que haine, revanche et vengeance contre un monde qui m’a exploitée, méprisée, tout en jouissant de mon corps, sans tendresse, sans amour. Célébrant vos noces renouvelées, ô mes enfants monstrueux, c’est ma haine inextinguible des bien-pensants que je célèbre, jouissant de ce qu’après m’avoir méprisée durant des lustres, ils me considèrent maintenant, fascinés et horrifiés, comme un monstre sacré, surplombant de si haut leurs âmes étriquées, leurs misérables maisons plongées dans la pénombre de l’ennui et où ils mènent des vies qui ne sont que misérables tas de petits secrets. (Leftah, 2010, p.36)

 

Le corps métamorphique

Le corps métamorphique pourrait désigner les changements qui affectent l’apparence corporelle et modifient ses contours anatomiques. Ces différents états par lesquels passent les personnages se traduisent d’une manière claire au niveau de leur chair. Dans un premier temps, nous chercherons à capter les différents changements que cette corporéité semble subir et que les mots de Mohamed Leftah cherchent à traduire.

 

Le corps se liquéfie ou les aveux de la chair

La relation incestueuse qui constitue la trame de fond de Hawa ou le chant du quartier Bousbir est fondamentalement une histoire du corps. Il s’agit de celui des jumeaux qui opposent, en toute conscience, leur relation incestueuse et le désir interdit à l’ordre moral et aux conventions sociales. Celui-ci se donne à lire comme une volonté de renouer avec une forme de transgression qui renvoie à “l’avant- société” :

[…] l’histoire, celle qu’on qualifie de grande, aussi bien que le hasard aveugle — cette fille innocemment cruelle révélant à Hawa, comme le vieux devin de Thèbes à Œdipe, le secret de ses origines —, le mystère de certaines affinités humaines, qui peuvent avoir la force des affinités physico-chimiques conduisant inévitablement deux configurations atomiques données à s’unir, firent que ce qui n’était pas destiné à Zapata, la beauté de Hawa, le fut. Dans une offrande d’amour considérée, depuis la nuit des temps et sur toute la surface de la terre, comme la plus haute des transgressions (Ibid,p.11)

Pour célébrer ce corps sublimé et ses désirs au-delà de toute entrave morale, l’auteur nous convie à observer comment la complicité des corps incestueux de Hawa et son frère Zapata se déploie. Si cette relation sert avant tout à illustrer la valeur transgressive incarnée par le corps dans la fiction leftahienne, elle permet aussi de donner à voir des corps qui se transforment sous la loi du désir. Ces aveux de la chair sapent l’ordre moral qui conditionne le vécu du personnage et renvoie à un corps soumis à l’instinct. On note :

 Quand Zapata, son frère jumeau, affectueux, aimant, fixait sur elle ses yeux d’une couleur bleu ciel rare chez les hommes sous ces cieux, elle commençait à fondre doucement, doucement à se liquéfier. Comme la glace recouvrant les lacs au retour du printemps et, par un été torride, la neige de montagne.(Ibid.,p.10)

C’est avec ces mots que le scribe traduit l’effet du regard de Zapata sur sa sœur jumelle Hawa, et il en va de même pour lui. Le corps de Zapata subit les mêmes transformations. Au-delà de la connivence érotique qui se trame à travers les regards échangés, ces mots révèlent la flamme de l’amour interdit qui embrase l’être des jumeaux. Leftah poétise une telle relation dans le langage du corps. Un corps qui change d’état, il se liquéfie, littéralement il fond. C’est-à-dire qu’il finit par se plier à la loi du désir. Donnant ainsi à voir un corps érotique qui s’épanouit à l’encontre de l’ordre social. Car les deux protagonistes consomment leur passion incestueuse en bravant la morale fondatrice de la loi sociale. L’inceste, comme nous l’avons évoqué précédemment, implique l’effacement des lignes régulatrices de l’ordre et engage la transgression de l’interdit, voire le renversement des hiérarchies et l’indétermination de l’ordre symbolique.

Tout en mettant en exergue les liens indéfectibles entre conscience du corps et soumission à la loi de la chair, cette scène se retrouve dans plusieurs endroits de l’œuvre et selon des détails plus explicites. En même temps qu’elle révèle toute la portée érotique du texte leftahien, de telles scènes traduisent d’une manière claire la prise de conscience des sujets comme étant d’abord et avant tout des sujets désirants. Il est significatif de noter que la mise en mot du désir permet aussi dans le même élan de donner à voir le corps transgressif.

Toujours est-il que la connivence des deux protagonistes se déploie dans une synchronie où les actions de l’un, ses mouvements, ses agissements, ses transgressions trouvent leurs éclats et leurs retentissements ultimes dans les paroles de l’autre. Le corps de Zapata ne semble prendre pleinement conscience de son existence qu’au moment où il se confronte aux limites de l’interdit, et qu’il finit par braver. Encore faut-il souligner que cette transgression est amplifiée par le chant de Hawa, sublimée par ses mots, performée par ses ritournelles, portée vers des dimensions esthétiques. 

 

Corps éthérique ou le corps dans l’expérience mystique

Par ses effets poétiques, l’expérience corporelle dans la perspective mystique permet non seulement de mettre en crise les contours physiques du corps, mais aussi d’interroger profondément les frontières qui le déterminent, les catégories et les genres qui le définissent. C’est le cas de la figure de l’androgyne qui apporte indéniablement un coup critique à une conception essentialiste du corps qui s’érige sur les strates du binarisme. En plus de sa force mythique, l’androgyne renvoie à un être qui déstabilise toute possibilité de renvoyer à un genre stable. Celui-ci tient à la fois de l’un et de l’autre et parvient à rassembler les antagonismes au sein d’une même entité corporelle. Cette ambiguïté générique permet à Mohamed Leftah de traduire une corporéité subversive qui tente de se dessaisir de tous les paramètres susceptibles de la cantonner dans une seule et unique appartenance. Ainsi par la mise en fiction d’une telle expérience, Leftah donne à imaginer un corps susceptible de transcender les contours, généralement essentialistes, qui peuvent lui être imposés par un genre ou par un sexe.

Leftah accorde une attention toute particulière aux expériences où les frontières entre genres et catégories se trouvent suspendues. Ici, nous nous attarderons sur ces corps qui transmigrent. Ces corps dont les contours s’évaporent pour devenir de simples esprits. Cette expérience de dématérialisation constitue pour Leftah une occasion d’évoquer une corporéité subtile et donner ainsi à voir des personnages portés par l’ivresse charnelle, combinée aux effets de la musique, qui constatent la disparition des contours de leur corporéité. Une telle transformation, si elle traduit métaphoriquement comment les corps répondent aux effets de l’ivresse charnelle, souligne pour le moins une expérience qui fait sortir le corps de sa normalité somatique : « il fallait que les êtres musicaux qu’ils étaient devenus reprissent leur corporéité, se densifiassent à nouveau, cédassent à l’ivresse joyeuse. » (Ibid.,p.93)

Cette métamorphose en corps subtil se lit encore dans ce passage où il est permis de constater une aventure à l’issue de laquelle le corps du personnage échappe aux lois physiques et morphologiques pour se confondre avec celui des « êtres éthérés » puisqu’il devient difficile d’en déterminer l’appartenance. « Le hasch, le sang de singe et la voix de Faïrouz ont élevé Zapata jusqu’au septième ciel ! » (Ibid., p.94). Les références au septième ciel et à l’élévation vont transfigurer « ces libations » (Ibid.) sur le « moon » auxquelles se livrent les personnages évoqués en une véritable expérience spirituelle qui mobilise tout un référentiel liturgique.

Le jeu subversif est poussé à son extrême dans ce passage où l’on peut lire : « pour cette ascension nocturne ! Quand il redescendit sur la terre vaine, Zapata était-il encore homme, ou ange transfiguré et le visage empourpré ? » (Ibid.) La capacité de le renvoyer à un ordre se trouve suspendue comme est suspendue toute possibilité de jugement moral. Il s’agit de Zapata, dont l’appartenance va désormais osciller entre l’ordre des anges et celui des hommes. « Ni humain ni angélique n’était Zapata, quand il redescendit sur notre terre aux blés, il était devenu un être musical ». (Ibid.)

Il est sans doute nécessaire de souligner ici que cette ascension miraculeuse à laquelle se livre le personnage dans son ivresse extatique ouvre la voie à une métamorphose où s’effectue le va-et-vient entre matérialité et spiritualité, entre sacré et profane. Celle-ci nous pousse à nous attarder un tant soit peu sur le vécu du personnage. Celui-ci, en dépit de la vie de débauche qu’il mène, fait preuve d’une certaine piété. Il a, nous dit le narrateur-scripteur, une âme religieuse. Bien qu’il affiche tous les aspects d’une vie dépravée et que sa conduite s’écarte du droit chemin, le personnage pourrait bien s’apparenter dans sa recherche de la vérité à « Ahl al malâma, les gens du blâme », une secte chez qui la foi intérieure prime sur l’apparence. C’est ainsi qu’on découvre que :

Zapata, qui n’avait jamais mis les pieds dans une mosquée, ne faisait pas le ramadan, vivait un amour incestueux avec sa sœur, avait pourtant l’âme religieuse. Irais-je même jusqu’à dire, celle d’un soufi ? D’un de ces soufis bien méconnus, qui s’étaient appelés eux-mêmes Ahl al malâma, les gens du blâme ? Leur comportement extérieur, exotérique, leur Zâhir, apparaissait aux autres comme la transgression la plus radicale de la Loi, de la charia, alors qu’ils menaient une vie de piété secrète tendue vers la vérité profonde, la haqiqa intime de cette Loi, son Bâtin. (Ibid., pp. 97, 98)

Ce jeu sur les deux faces du personnage affiche son être oxymorique. Il sonne comme une apologie du paradoxe qui, à l’évidence, affecte tous les domaines du texte Leftahien. Son apparence, sa conduite, son extérieur s’opposent diamétralement à son âme et à son intérieur. Cette contradiction qui peut se lire comme la condition de tout être trouve ici une forte résonnance mystique. Leftah mobilise les motifs du Zâhir « exotérique » et du Bâtin « ésotérique » pour donner à voir que l’intérieur d’une personne revêt plus d’importance que ses agissements ; rejoignant en cela un précepte religieux selon lequel, ce qui prime dans les conduites et les actions des individus ce sont les intentions.

Par ailleurs, le scribe ne manque pas de mettre ces mots, tirés notamment de L’Amour est ma religion et ma foi de Ibn Arabi, dans la bouche du personnage. Zapata, emporté par l’amour déclame : 

                 Mon cœur est devenu capable de revêtir toutes

                  les formes,

                  il est pâturage pour les gazelles et couvent pour le moine,

                  temple pour les idoles et Kaaba pour le pèlerin,

                  Tables de la loi et feuillets du Coran.

                  Je professe la religion de l’amour

                  où que s’orientât son cortège,

                  l’amour est ma religion et ma foi. (Ibid., pp.109-110)

L’amour, comme multiplicateur de l’être et facteur de son ubiquité, trouve des échos particuliers dans la destinée de Zapata. Celui-ci ne cesse de réclamer pour son corps les apparences et les appartenances multiples.  Par ailleurs ce désir d’aller au-delà de toute contenance, d’outrepasser les limites, d’embrasser la démesure peut se révéler synonyme de monstruosité.

 

Corps monstrueux 

Zapata s’associe par son surnom à l’ordre révolutionnaire, un surnom qu’il s’est vu attribuer à la suite du visionnage du film retraçant le parcours du révolutionnaire mexicain Viva Zapata. Pourtant, lorsqu’on s’attarde sur toutes les modulations qui vont affecter son surnom, nous nous rendons compte que celui-ci fait montre de l’hyperbolisation du personnage.

 Cette perspective se confirme quand on s’arrête un tant soit peu sur les caractérisations le concernant. Celui-ci se démarque aussi bien par son organe sexuel disproportionné, « la verge en acier » (Ibid., p. 58), « sexe d’étalon » (Ibid., p.102) que par ses exploits sexuels, écoutons les mots de sa sœur jumelle Hawa : « connaissez-vous, bonnes gens, plus magnifique baiseur que Zapata ? » (Ibid., p.53). Le superlatif « plus » qui accompagne l’adjectif « magnifique » permet à cette question rhétorique de confirmer la distinction du personnage. Cette hyperbolisation de Zapata se retrouve dans presque tout le chant de Hawa. Voilà ce qu’on peut encore lire : « Les anges voyous de sa bande, en parlant de sa queue, disent : Zabba ! Rien qu’à voir, le tremblement de mes lèvres labialisent ce mot, vous devinez comme doit être lourde la queue qu’elles éjectent ! » (Ibid.)

 Outre cette caractérisation explicite, le corps de Zapata se trouve associé à une série de qualifications tirées du lexique équestre, qui accentue par leur charge symbolique cette idée d’une virilité exacerbée. Ainsi celui-ci est décrit par « lafhal qui désigne en arabe l’étalon », « al ‘awd al bargui, le cheval à la robe brun rouge », « al ‘awd al’arbi, l’incomparable pur-sang arabe »(Ibid.,p.17). Il est significatif de noter que cette hypervirilisation du personnage est coextensive à une volonté de puissance qui oriente sa conduite et détermine sa position. L’association entre pouvoir, sexe, et violence se concentre dans le destin du personnage. Il cherche tout le temps à dominer son entourage, à le féminiser, à le pénétrer si l’en faut pour asseoir sa position de mâle dominant. C’est ce qui se lit clairement dans les lignes suivantes :

 Zapata qui connaissait le pouvoir imparable des armes qui blasonnaient son buste, déboutonna encore un bouton, mit les mains sur ses hanches et bomba le torse, non par vanité, mais par compassion pour le capitaine (Ibid., p.59)

 Ou encore un peu plus loin :

Des pêcheurs de la médina qui croyaient dur comme fer que le poisson mordait à l’hameçon sans aucune méfiance quand il faisait clair de lune, comme cette nuit, entendirent le mot si familier et sourirent. D’un sourire plein d’admiration pour Zapata qui ajoutait un nouveau laurier à sa gloire, et d’indulgence pour ce nouveau fils des fjords venu de si loin et dont les hurlements de douleur qu’ils savaient aller se muer en gémissements de bonheur, leur parvenaient amortis, sur les ailes d’une douce et tiède brise. (Ibid., p.62)

Il n’est pas inutile de rappeler que l’homosexualité de Zapata est l’emblème de la force et de la vigueur. Elle ne manque pas de susciter l’admiration dans un univers où celle-ci est considérée comme déviance qui nécessite d’être blâmée. Cette puissance s’exprime par le biais d’une sexualité qui cherche à soumettre toute rivalité. Il se donne à lire dans cette confrontation qui oppose Zapata à un adversaire d’une bande rivale à l’occasion d’un séjour en prison. En effet, ce détenu qui a défié Zapata finira, à l’issue d’un duel violent, avili, humilié. Voilà, ce qu’il répond à l’injonction de Zapata :

 – je lui ordonnerai: “ Suce! Suce, petit! Avale! Avale-la jusqu’au trognon, pédale!”

– J’obéirai sur-le-champ, Zapata, hoqueta l’homme à genoux, les sanglots secouant son corps tremblant comme une feuille. (Ibid., p.83)

Cette virilité dévastatrice dont les principaux ressorts sont la violence et l’agressivité se matérialise comme un débordement. En effet, Zapata, est à plusieurs égards, l’être de la démesure, il incarne excellemment l’hybris. À l’excès qui se manifeste dans chacune de ses actions, s’ajoute l’aspect chimérique qui se dégage de son corps. « Zapata est cobra et tigre, et verge dans l’acier forgé » (Ibid., p.81), « l’œil d’aigle de Zapata.» (Ibid.,)

 

Conclusion

À travers son cortège de représentation, ses changements divers, sa nature protéiforme et ses métamorphoses multiples, le corps s’est révélé, dans la fiction de Mohamed Leftah, tributaire d’une dynamique de transfiguration. Attaché aux virtualités du langage, il s’est donné à lire comme motif propice à réfracter l’ordre poétique « le seul ordre acceptable » selon Leftah. Ainsi, la perturbation des différents paramètres – anatomiques, sexuelles, génériques, sociales, culturelles, morales et politiques – qui définissent le corps est d’abord solidaire d’une exploration poétique où s’active et s’affine une stratégie de l’ébranlement.

Autrement dit, le corps dans la fiction de Mohamed Leftah interroge les représentations communément admises, tout en laissant entrevoir les voies par lesquelles le sujet accède, par-delà les normes constitutives de son environnement, à sa singularité subjective. Partant, il engage une réflexion originale sur les frontières qui déterminent la position des corps dans le monde. Un tel décentrement fait voler en éclat les lignes limitrophes entre le pur et l’impur, l’homogène et l’hétérogène, le noble et l’abject, le beau et le laid, le sacré et le profane, le licite et l’illicite, le légitime et l’illégitime, le normal et l’anormal, le masculin et le féminin, l’humain et l’animal, etc.

Par ailleurs, pour échapper aux normes qui gouvernent son existence, le corps fait montre à la fois d’infléchissement physique et anatomique dont les effets poétiques et métaphoriques donnent à voir une corporéité autre. De même qu’ils permettent de saisir l’itinéraire de certaines sexualités et identité de genre, évoluant au-delà des assignations identitaires, ces infléchissements interrogent les assises imaginaires de « l’hétéronormativité » souvent formalisée comme seule matrice d’intelligibilité des corps.

 

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